Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/345

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Nicolas avait beau regarder sa mère pendant cette longue tirade avec un profond étonnement, qui s’accrut par degrés avec les confidences de Mme Nickleby, elle n’en fut pas troublée le moins du monde : bien au contraire, elle n’y vit que l’admiration inspirée par sa haute expérience des manœuvres antématrimoniales. Aussi, après avoir un moment interrompu le fil de son discours pour remarquer seulement, avec une certaine complaisance, qu’elle savait bien qu’elle allait l’étonner, elle repartit de plus belle pour entrer dans l’exposé des preuves dont les détails étaient des plus incohérents. Enfin, pour le bouquet, elle établit, sans conteste, que M. Frank Cheeryble était passionnément amoureux de Catherine.

« De qui ? cria Nicolas.

— De Catherine, répéta Mme Nickleby.

— Quoi ? notre Catherine ? ma sœur ?

— Bon Dieu ! Nicolas, reprit Mme Nickleby, de quelle Catherine voulez-vous donc que ce soit ? Vous imaginez-vous que j’irais me soucier de tout cela le moins du monde, et y prendre le moindre intérêt s’il s’agissait de toute autre que votre sœur ?

— Mais, ma chère mère, dit Nicolas, assurément ce n’est pas possible.

— Très bien, mon cher ami, répliqua Mme Nickleby avec une grande assurance. Eh bien ! attendez et vous verrez : je ne vous dis que cela. »

Nicolas, jusqu’alors, n’avait jamais un moment arrêté sa pensée sur la possibilité de l’incident dont sa mère venait de lui faire part. Depuis quelque temps, il avait été trop souvent absent de la maison, et trop occupé d’autres soins ; mais, d’ailleurs, ses idées avaient pris un autre cours, et s’il avait remarqué la fréquence des visites de Frank Cheeryble, c’était pour en concevoir le soupçon jaloux qu’apparemment ce jeune homme ressentait pour Madeleine un intérêt de la même nature que celui qu’il éprouvait lui-même. Même en cet instant, quoiqu’il vît bien que les conjectures d’une mère vigilante eussent dans ce cas plus d’apparence que les siennes, et quoiqu’il se rappelât aussitôt une foule de petites circonstances dont la réunion semblait en effet donner raison aux suppositions dont elle se montrait triomphante, il n’était pas encore bien convaincu qu’il ne fallût pas les attribuer simplement à la galanterie inconsidérée d’un jeune homme naturellement aimant, qui ne se serait pas montré moins empressé avec toute autre jeune fille aimable et belle. Du moins il l’espérait encore, et par conséquent il cherchait à se le persuader.