Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/356

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naissances, les morts, les mariages, tous ces événements qui ont tant d’intérêt pour la plupart des hommes, qu’est-ce que tout cela me fait, à moins qu’ils ne me fassent perdre ou gagner ? Eh bien ! en ce moment, sur ma parole, ce n’est pas tant à cette perte que je suis sensible, qu’à son air triomphant en me l’annonçant. C’est à lui que je la devrais (il me semble que je la lui dois), je ne l’en détesterais pas davantage. Patience ! que je puisse seulement me venger, à petits coups, lentement, mais sûrement ; que je prenne seulement une fois le dessus et que je fasse pencher la balance de mon côté, et nous verrons. »

Ses réflexions furent longues et profondes ; elles se terminèrent par une lettre qu’il chargea Newman de porter à l’adresse de M. Squeers à la tête de Sarrasin. Noggs devait s’informer si l’autre était arrivé à Londres et, dans ce cas, attendre une réponse. Il revint avec la nouvelle que M. Squeers était arrivé le matin même par la diligence, qu’il avait reçu la lettre, étant encore au lit, mais qu’il faisait ses compliments à M. Nickleby et qu’il allait se lever pour venir le voir à l’instant.

En effet, il ne se fit pas longtemps attendre. Mais, dans l’intervalle, Ralph avait eu le temps de faire disparaître tout signe d’émotion, et de reprendre sa physionomie ordinaire, c’est-à-dire dure, immobile, inflexible, à laquelle il devait peut-être en grande partie son influence incontestable sur un grand nombre de gens qui ne se piquaient pas d’être pointilleux à l’endroit de la moralité.

« Eh bien ! monsieur Squeers, lui dit-il en accueillant ce digne homme avec son sourire accoutumé, moitié figue, moitié raisin, comment vous portez-vous ?

— Mais, monsieur, dit M. Squeers, pas trop mal. Ma famille, les petits garçons, tout cela va bien, sauf une espèce de gourme qui court la maison et qui ôte aux écoliers l’appétit. Mais que voulez-vous, c’est ce temps-là, tout le monde en souffre, comme je leur dis chaque fois qu’il leur survient quelque épreuve. Les épreuves, monsieur, sont le lot de l’humanité. La mort elle-même, monsieur, est une épreuve. On ne voit que cela dans ce monde, des épreuves ! et, si un petit garçon regimbe contre les épreuves et vous ennuie de ses plaintes, il faut bien le gourmer pour le mettre à la raison ; c’est encore conforme au texte de l’Écriture, vous savez.

— Monsieur Squeers… dit Ralph sèchement.

— Monsieur !

— Nous laisserons là, s’il vous plaît, ces précieuses tirades de moralité, pour parler affaires.