Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/80

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jeu, et cependant quelle adresse et quel sang-froid il montrait en même temps ! Il en avait vingt fois plus qu’il n’en fallait pour un tel adversaire, incapable de lui tenir tête, même quand la fortune le favorisait de quelques cartes heureuses. Sir Mulberry gagna toutes les parties, et quand son camarade, lassé de perdre, jeta les cartes sur la table et refusa de continuer, il dégagea du lit et lança sur la table son bras amaigri, pour faire rafle des enjeux avec un juron victorieux et ce même rire si rauque, quoique moins vigoureux aujourd’hui, qui retentissait il y a quelques mois dans la salle à manger de Ralph Nickleby.

Son domestique entre pour lui annoncer que M. Ralph Nickleby est en bas et vient savoir comment il va ce soir.

« Mieux, répondit-il impatienté.

— M. Nickleby demande, monsieur…

— Mieux, vous dis-je, » réplique sir Mulberry frappant de la main sur la table.

Le domestique hésite un moment, puis se décide à dire que M. Nickleby demande la permission de voir sir Mulberry Hawk, si cela ne le gêne pas.

« Cela me gêne, je ne peux pas le voir, je ne peux voir personne, lui dit son maître avec plus d’énergie encore. Vous le savez bien, imbécile !

— Pardon, monsieur, répond le domestique. Mais M. Nickleby a fait tant d’insistances… »

Le fait est que Ralph Nickleby avait graissé la patte du domestique, qui, dans l’espérance d’être encore bien payé, en pareille occasion, voulait gagner son argent ; aussi tenait-il la porte entr’ouverte sans sortir, et n’avait-il pas l’air pressé de s’en aller.

« Vous a-t-il dit qu’il eût à me parler d’affaires ? demanda sir Mulberry après un moment de réflexion.

— Il a seulement demandé à vous voir en particulier, monsieur ; voilà tout ce que m’a dit M. Nickleby.

— Vous allez lui dire de monter. Tenez ! auparavant, lui cria sir Mulberry en se passant la main sur ses traits altérés ; prenez cette lampe et posez-la sur son pied derrière moi ; reculez cette table et placez une chaise là… encore un peu plus loin. C’est bien. »

Le domestique exécuta cet ordre en serviteur intelligent, qui en comprenait les motifs et sortit. Lord Frédérick Verisopht passa dans une chambre à côté, en disant qu’il allait revenir dans un moment, et ferma derrière lui les deux battants de la porte.