Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/109

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la route il pensait avec plaisir au tribut qu’il avait perçu, le péager, disons-nous, fut dehors en un instant.

« Quitter M. Pecksniff ! … s’écria-t-il.

– Oui, dit Tom, je le quitte. »

Le péager regarda sa femme, ne sachant pas trop s’il lui demanderait quelque renseignement, ou s’il lui ordonnerait de rester là un moment à veiller sur les enfants. Mais l’étonnement le rendant plus grognon encore que de coutume, il préféra ce dernier parti et renvoya à la maison sa femme, à qui la curiosité mettait la puce à l’oreille.

« Vous quittez M. Pecksniff ! s’écria le péager, croisant les bras et écartant les jambes. Ma foi ! on m’aurait dit que sa tête le quittait, que je n’en aurais pas été plus étonné.

– Oui, dit Tom, j’aurais dit comme vous hier. Bonne nuit ! »

Si un lourd troupeau de bœufs n’était arrivé sur ces entrefaites, le péager n’eût pas manqué de courir droit au village pour y prendre des informations. Quand le troupeau eut franchi la barrière, notre homme alluma une autre pipe et tint conseil avec sa femme. Mais les efforts réunis de leur sagacité ne purent aboutir à aucun résultat, et le couple alla se mettre au lit sans y voir goutte (pour parler au figuré). Mais plusieurs fois, cette même nuit, quand une charrette ou tout autre véhicule survenait, et que le conducteur demandait au péager : « Quelles nouvelles ? » celui-ci considérait l’homme à la clarté de la lanterne pour s’assurer si le sujet dont il était préoccupé lui-même n’intéressait pas aussi l’individu, et il disait alors en enroulant son manteau de nuit autour de ses jambes :

« Avez-vous entendu parler là-bas de M. Pecksniff ?

– Ah ! sûrement !

– Et peut-être aussi de son jeune homme M. Pinch ?

– Ah !

– Ils ne sont plus ensemble. »

Après cette confidence, le péager chaque fois se renfonçait de nouveau dans sa maison et disparaissait complètement, laissant l’autre continuer sa route tout ébahi.

Tom était depuis longtemps au lit qu’on en parlait encore : mais pour le moment il se dirigeait vers Salisbury, pressant le pas pour y arriver. D’abord la soirée avait été belle ; mais après le coucher du soleil, le ciel se chargea de nuages et devint obscur, et au bout de quelques instants il tomba une pluie violente. Durant trois mortelles lieues Tom se traîna péniblement, tout mouillé qu’il était, jusqu’à ce qu’enfin les lu-