Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/139

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de fois tout cet ensemble revint dans leurs rêves ! Et que de fois ce fut pour eux un bonheur de s’éveiller alors et de trouver que ce n’étaient que des ombres qui s’étaient évanouies !


CHAPITRE IX.
Comme quoi les voyageurs s’en retournent dans leur pays et rencontrent en route quelques caractères distingués.

Parmi les passagers qui se trouvaient à bord sur le steamboat, il y avait un gentleman maigre assis sur une sorte de lit de camp très-bas, et ayant les jambes posées sur un baril de farine très-haut, comme s’il regardait la campagne avec ses chevilles. Ce personnage attira tout d’abord l’attention de Martin et de Mark Tapley.

Il avait des cheveux noirs et roides, partagés sur le milieu de la tête et pendants sur son habit ; une petite touffe de poil au menton ; il ne portait point de cravate ; son chapeau était blanc ; son costume tout noir était long des manches et court des jambes ; ses bas bruns étaient sales, et ses souliers lacés. Son teint, naturellement crotté, le paraissait encore davantage par suite d’une économie trop parcimonieuse d’eau de savon : la même observation s’appliquait à la partie de son costume sujette au blanchissage, et qu’il eût pu changer dans l’intérêt de son bien-être personnel, et pour la satisfaction des yeux de ses amis. Il devait avoir trente-cinq ans. Ramassé en croix ou en tas, sous l’ombre d’un grand parapluie de coton vert, il ruminait sa chique de tabac comme une vache son tourteau.

Au reste, cela n’avait rien de bien particulier, car tous les gentlemen à bord semblaient être brouillés avec leur blanchisseuse et avoir renoncé, dès leur plus tendre jeunesse, à se laver. Tous paraissaient aussi avoir le gosier bouché avec ce même genre de sucre d’orge : tous étaient disloqués dans la majeure partie de leurs articulations. Cependant celui que nous avons décrit offrait un air particulier de sagacité et d’expérience qui fit deviner à Martin que c’était un caractère rare : le fait ne tarda pas à se vérifier.