Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/219

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- Eh bien ! alors, il faut essayer, dit Tom. Mon ami John Westlock est un excellent garçon ; il a beaucoup de perspicacité et d’intelligence. Je lui demanderai conseil. Nous en parlerons ensemble. Vous aimerez beaucoup John quand vous le connaîtrez, j’en suis certain. Ne pleurez pas, ne pleurez pas. Vous, capable de faire un pouding de bifteck, en vérité ! dit Tom en la poussant avec douceur ; vous n’avez pas seulement le courage qu’il faut pour faire un dumpling !

– C’est vous qui voulez que ce soit un pouding, Tom. Rappelez-vous que moi je n’en réponds pas !

– Autant lui donner ce nom-là jusqu’à ce qu’on puisse lui en donner un autre. Ah ! ah ! vous allez vous mettre sérieusement à l’œuvre, à ce qu’il paraît. »

Oui, oui ! c’était bien vrai ; mais son sérieux ne l’empêchait pas d’avoir tant de gentillesse que les yeux de Tom quittaient son travail à chaque instant pour la suivre. D’abord elle descendit à la cuisine chercher la farine, puis la planche à faire la pâte, puis les œufs, puis le beurre, puis une jatte d’eau, puis le rouleau à pâte, puis une tourtière à pouding, puis du poivre, puis du sel ; faisant un voyage pour chaque objet séparément, et riant chaque fois qu’elle se remettait en route. Quand elle eut rassemblé tous ses matériaux, elle s’aperçut avec horreur qu’elle n’avait pas de tablier : aussitôt elle monta en courant en chercher un, ce qui varia un peu l’uniformité de ses voyages. Au lieu de se l’attacher dans sa chambre, elle redescendit en bondissant l’escalier, tenant son tablier à la main. Ruth était une de ces petites femmes auxquelles un tablier sied si bien, que c’est pour elle un objet de coquetterie. Aussi lui fallut-il beaucoup de temps pour l’arranger convenablement, car il avait besoin qu’on l’étirât par le bas avec beaucoup de soin. Et puis il fallut fixer et ajuster… ah ! Dieu ! la coquette petite bavette ! puis rassembler les plis du tablier autour de la taille à l’aide des cordons avant de les attacher ; puis il fallut l’aplatir, le tapoter, le faire bouffer vers les poches : ah ! qu’on eut de mal le faire tenir comme il faut, et, lorsque enfin il consentit à bien aller… mais n’importe, cette histoire-ci n’est pas un conte pour rire, nous n’avons pas de temps à perdre. Puis il fallut retrousser ses manchettes à cause de la farine, elle avait encore au doigt une petite bague qu’elle essaya de retirer, et qui refusa de bouger, la petite sotte ! Ruth regardait Tom par-dessous ses longs cils noirs, de temps à autre, pendant tous ces préparatifs, comme si elle eût voulu lui faire croire qu’ils