Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/226

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reux de soupçonner ainsi un homme qui a tant de confiance en vous ; car votre pouding m’inspire une confiance aveugle, miss Pinch. »

Elle se mit à rire ; mais bientôt ils revinrent aux affaires sérieuses et les discutèrent avec une profonde gravité. Quelque obscur que fût le reste, il était clair qu’on offrait à Tom un salaire de cent livres sterling ; et, comme c’était là le point essentiel, l’obscurité du cadre ne servait qu’à mieux faire ressortir le fond.

Tom était très-agité et voulut se mettre en chemin à l’instant ; mais, d’après l’avis de John, ils attendirent près d’une heure avant de partir. Tom se fit aussi beau que possible avant de quitter la maison, et John Westlock, par la porte entrebâillée du salon, aperçut dans le vestibule la brave petite sœur qui brossait le col de l’habit de son frère, qui faisait un point à ses gants, qui papillonnait autour de lui, qui donnait par-ci par-là quelques petites retouches à sa toilette, dans toute la gloire de sa méticuleuse propreté. John Westlock se rappela les portraits de fantaisie qu’on faisait de Ruth sur les murailles de l’atelier de M. Pecksniff, et il conclut avec indignation que non-seulement ils n’étaient pas à beaucoup près aussi jolis qu’elle, mais que c’étaient d’affreuses caricatures ; pourtant, ainsi que nous l’avons dit ailleurs, les artistes de l’endroit la dessinaient toujours sous des traits charmants, et John lui-même avait sur la conscience d’avoir croqué, pour sa part, une vingtaine de ces portraits.

« Tom, dit-il en cheminant, je commence à croire que vous êtes le fils de quelqu’un.

– Je le suppose, répondit Tom de son air tranquille.

– Mais je veux dire de quelqu’un d’important.

– Dieu vous bénisse ! Mon pauvre père n’avait aucune importance, ni ma pauvre mère non plus.

– Vous vous rappelez parfaitement vos parents, alors ?

– Si je me les rappelle ! je crois bien ! ma pauvre mère fut la dernière. Lorsqu’elle mourut, ma sœur était encore toute petite. Après sa mort, une bonne vieille grand’mère, qui avait quelques petites économies, nous prit à sa charge ; je vous ai souvent parlé d’elle. Vous vous en souvenez ? Oh ! il n’y a rien de romanesque dans notre histoire, John.

– À la bonne heure ! dit John découragé. Alors il n’y a pas moyen de s’expliquer la visite que j’ai reçue ce matin. Ainsi n’en parlons plus, mon cher ! »