Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/273

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

secret terrible ; un secret qu’il connaissait, et que pourtant il ne connaissait pas : car, bien qu’il en eût la responsabilité et la complicité, il était tourmenté, même dans sa vision, par une incertitude fatigante au sujet de ce secret. Un autre rêve se confondait d’une manière incohérente avec celui-ci. Il lui semblait que cette porte était la cachette d’un ennemi, d’une ombre, d’un fantôme, et qu’il était chargé de tenir enfermée cette effrayante créature, pour l’empêcher d’arriver jusqu’à lui. Dans ce but Nadgett, lui, et un étranger qui avait une trace sanglante sur la tête (il lui rappela qu’il avait été son compagnon d’enfance, et lui dit même le nom très-réel d’un camarade de pension, qu’il avait oublié jusqu’alors), s’efforçaient d’assujettir cette porte à l’aide de plaques de fer et de clous ; mais ils avaient beau travailler, les clous se brisaient ou bien se métamorphosaient entre leurs doigts en tiges d’osier flexibles, ou, pis encore, en vers ; le bois de la porte se fendait ou se pulvérisait au point que les clous mêmes n’y pouvaient tenir ; et les plaques de fer se roulaient comme du papier chauffé devant le feu. Pendant tout ce temps, la créature de l’autre côté (il ne savait et ne cherchait point à savoir si elle avait la forme d’un homme ou celle d’une bête) gagnait du terrain sur eux. Mais le moment de plus affreuse terreur fut celui où l’homme qui avait une trace sanglante sur la tête lui demanda s’il ne connaissait pas le nom du monstre, et lui dit qu’il le lui soufflerait tout bas. Alors le rêveur tomba à genoux, tout son sang se glaça d’épouvante, et il se boucha les oreilles pour ne pas entendre. Mais il vit, au mouvement de ses lèvres, que l’homme avait prononcé la lettre J ; alors criant tout haut que le secret était révélé et qu’ils étaient tous perdus, il s’éveilla.

Il s’éveilla pour trouver Jonas, debout à côté de son lit, qui le regardait. La porte en question était grande ouverte.

Au moment où leurs yeux se rencontrèrent, Jonas recula de quelques pas, et Montague s’élança hors du lit.

« Eh ! eh ! dit Jonas. Vous êtes bien vivant ce matin.

– Vivant ! bégaya l’autre, et il tira violemment le cordon de sonnette. Que faites-vous ici ?

– C’est votre chambre à la vérité, dit Jonas, mais je suis presque tenté de vous demander ce que vous y faites vous-même. Ma chambre est de l’autre côté de cette porte. Personne ne m’a dit hier au soir de ne pas l’ouvrir. J’ai cru qu’elle conduisait dans le corridor, et je sortais pour comman-