Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/281

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ment la personne qui mérite le mieux de la connaître, et je suis enchanté que vous la connaissiez. Mais de quelles vicissitudes voulez-vous parler ? Y a-t-il quelqu’un de mort ?

– Non, non ! dit l’hôtesse. Ce n’est pas si triste que ça. Mais je vous jure que je ne dirai pas un mot de plus jusqu’à ce que vous ayez achevé votre souper. Je ne répondrai pas à une seule question jusque-là, dussiez-vous m’en faire cinquante. »

Elle était si décidée, qu’il n’y avait rien de mieux à faire que de se débarrasser du souper aussi vite que possible. Comme ils avaient beaucoup marché, et n’avaient rien pris depuis midi, ils se jetèrent sur le menu à belles dents, sans se faire une trop grande violence. L’opération fut un peu plus longue qu’on n’eût pu s’y attendre ; cinq ou six fois ils pensèrent avoir fini, mais Mme Lupin leur démontra victorieusement leur erreur. À la fin, grâce au temps et à la nature, ils abandonnèrent la partie. Alors, assis, les pieds dans leurs pantoufles, les jambes allongées devant le foyer (ce qui était bien réconfortant, car la nuit était devenue froide), les yeux tournés avec une admiration involontaire vers leur fraîche et florissante hôtesse, dont le feu faisait étinceler les yeux et reluire les cheveux d’ébène, ils se disposèrent à écouter les nouvelles.

Le récit de Mme Lupin fut plus d’une fois interrompu par des exclamations de surprise, quand elle raconta la séparation qui s’était opérée entre M. Pecksniff et ses filles, ainsi qu’entre ce même excellent homme et M. Pinch. Mais ce ne fut rien encore auprès des démonstrations d’indignation de Martin, lorsque l’hôtesse rapporta, d’après les caquets du voisinage que M. Pecksniff s’était complètement emparé de l’esprit et de la personne du vieux M. Chuzzlewit, et à quel grand honneur il destinait Mary. En apprenant cette dernière nouvelle, Martin fit voler ses pantoufles à l’autre bout de la cuisine, et commença à mettre ses bottes mouillées, avec l’intention vague d’aller sur-le-champ quelque part pour faire quelque chose à quelqu’un. Ces intentions-là, comme on sait, sont ce qu’on pourrait appeler la première soupape de sûreté d’un caractère violent.

« Euh ! le scélérat à la langue dorée ! Euh ! Donnez-moi l’autre botte, Mark !

– Où avez-vous donc envie d’aller, monsieur ? dit M. Tapley en séchant la semelle de la botte au feu, et en la regar-