Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/312

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quoi s’enfuyait-elle alors ? Elle n’était pourtant pas mal habillée (elle était trop soigneuse pour cela) ; pourquoi s’enfuyait-elle ? Il est bien vrai que ses boucles brunes s’étaient détachées sous son chapeau, et qu’il y avait une impertinente fleur artificielle qui s’était accrochée à ses cheveux, avec une insolence dont elle semblait hardiment se faire gloire aux yeux de tous les hommes ; mais ce ne pouvait être cela qui la faisait fuir, car c’était charmant. Ah ! petit cœur timide, palpitant, effarouché, pourquoi s’enfuyait-elle ?

La petite fontaine s’élançait gaiement, et en retombant faisait des ricochets étincelants sur sa surface baignée de soleil. John Westlock s’empressa de suivre Ruth. L’eau chuchotante se brisait en tombant doucement, et les cercles qui se formaient à sa surface semblaient sourire avec malice en voyant John courir sur les pas de Ruth.

Oh ! petit cœur timide, palpitant, effarouché, pourquoi faisait-elle semblant de ne pas se douter de son approche ? Pourquoi souhaiter d’être à l’autre bout du monde, et pourtant être si heureuse dans son trouble de se trouver là ?

« J’étais bien sûr que c’était vous, dit John, quand il l’eût rattrapée dans le sanctuaire de la cour du Jardin. Je savais bien que je ne pouvais me tromper. »

Elle feignit une surprise extrême.

« Vous attendiez votre frère ? dit John. Permettez-moi de vous accompagner. »

Le toucher de cette petite main timide était si léger, que John baissa les yeux pour s’assurer qu’elle reposait bien réellement sur son bras. Mais, en passant, son regard s’arrêta sur deux beaux yeux, oublia sa première direction et n’alla pas plus loin.

Ils firent deux ou trois fois le tour de la cour, parlant de Tom et de son mystérieux emploi. C’était un sujet de conversation très-naturel et assurément très-innocent. Alors pourquoi, chaque fois que Ruth levait ses regards, les laissait-elle retomber sur-le-champ, pour chercher le pavé peu sympathique de la cour ? Elle n’avait pas des yeux qui dussent craindre la lumière, elle n’avait pas des yeux qu’elle dût ménager pour les faire valoir. Ils étaient beaucoup trop jolis et trop naturels pour avoir besoin d’artifices semblables à ceux-là. Peut-être quelqu’un les regardait-il ?

Cependant ces yeux-là surent bientôt découvrir Tom de loin, dès qu’il parut sur l’horizon. Les regards de Tom erraient par-