Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/348

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ble dormir pendant la nuit. C’est une idée fausse… Qui pouvait le savoir mieux que lui ?

Les poissons sommeillaient dans les eaux fraîches et brillantes des ruisseaux et des rivières, c’est possible ; les oiseaux étaient perchés sur les branches des arbres ; les bestiaux se tenaient tranquillement dans leurs étables et leurs pâturages, et les créatures humaines se livraient au sommeil. Mais qu’est-ce que ça fait ? la nuit solennelle n’en veillait pas moins, elle ne clignait seulement pas les yeux, et ses ténèbres ne veillaient pas moins que la lumière. Les arbres majestueux, la lune, les étoiles étincelantes, le vent qui soufflait doucement, la route sur laquelle se projetait l’ombre, la campagne ouverte et brillante ; tout cela veillait. Il n’y avait pas un brin d’herbe, pas une tige de blé qui ne veillât ; et plus cette vigilance était calme, plus Jonas sentait cette surveillance attentive attachée sur lui.

Et cependant il s’endormit. Tout en roulant sous le regard de ces sentinelles de Dieu, il s’endormit, et ne changea rien au but de son voyage. S’il vint à l’oublier parmi ses songes troublés, ce but lui revint constant et fidèle à son réveil, mais sans réveiller en lui le remords ni l’abandon de ses projets.

Une fois entre autres, il rêva qu’il était paisiblement couché dans son lit, pensant au clair de lune et au bruit des roues, quand le vieux commis vint à passer sa tête par la porte entre-bâillée et à l’appeler. À ce signal, il se leva aussitôt, vêtu précisément comme il l’était en ce moment. Il accompagna le vieux commis dans une ville étrange, où les noms des rues étaient inscrits sur les murs en lettres tout à fait inconnues pour lui : cela ne lui causa ni surprise ni inquiétude, car il se souvint dans son rêve d’être déjà venu précédemment en ce lieu. Ces rues étaient si escarpées que, pour passer de l’une à l’autre, il était indispensable de descendre à une grande profondeur par des échelles qui étaient trop courtes et par des cordes qui faisaient vibrer de grosses cloches, et qui oscillaient et s’agitaient lorsqu’on venait à s’y cramponner ; et cependant le péril ne lui causait que cette première émotion de surprise qui ne va pas jusqu’à la terreur : toute son inquiétude était concentrée sur son costume, qui ne lui permettait pas de se montrer dans une fête dont cette ville allait être le théâtre, et à laquelle il était venu prendre part. Déjà la foule avait commencé à remplir les rues : on voyait sur un point des milliers d’hommes se suivre et se presser dans une perspective interminable ;