Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/352

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

banes du pauvre, et un vieux clocher gris, surmonté d’une croix, se dressait entre lui et la nuit, qui approchait.

Jamais il n’avait lu la leçon que contenaient tous ces signes ; toujours, au contraire, il les avait raillés et s’en était détourné avec mépris ; mais avant de descendre dans le dernier creux, il promena autour de lui un regard mélancolique sur le tableau du soir. Puis il descendit, descendit, descendit le long du vallon.

Il arriva ainsi jusqu’au bois, au bois fourré, épais, voilé d’ombre, à travers lequel serpentait le sentier, qui allait se rétrécissant aux proportions d’un passage pour les moutons. Montague s’arrêta avant d’y pénétrer, car la morne tranquillité de ce lieu l’épouvantait.

Les derniers rayons du soleil brillaient de ce côté, traçant sur leur passage une traînée de lumière d’or sur les tiges et les branches ; mais, au moment même où Montague les contemplait, ils commencèrent à s’évanouir, cédant doucement la place au crépuscule, qui gagnait la campagne. Il régnait un tel calme, que la mousse cachée et modeste qui tapisse les troncs des vieux arbres semblait un produit du silence nocturne qui lui donnait l’être et la vie. Les autres arbres, qu’avaient fait plier les coups de vent de l’hiver, n’étaient pas tout à fait tombés ; mais, retenus par leurs voisins, ils reposaient, nus et ravagés, entre les bras feuillus qui leur servaient de support, comme s’ils ne voulaient pas troubler le repos général par le bruit de leur chute. Des perspectives de silence s’ouvraient de tout côté, dans le cœur et les plus intimes retraites du bois. C’était d’abord comme l’arcade d’un cloître, ou une ruine ouverte en plein ciel ; puis cette architecture se confondait dans un pêle-mêle mystérieux de verdure, à travers lequel on découvrait, dans un magnifique désordre, les troncs noueux, les branches tortillées, les souches couvertes de lierre, les feuilles tremblantes, et les cadavres des vieux chênes couchés et dépouillés de leur écorce.

Tandis que le soleil achevait de s’éteindre et que le soir tombait sur le bois, Montague y entra. Bientôt il eut disparu, agitant çà et là dans sa marche un buisson ou une branche penchée sur le chemin. Par intervalles, une éclaircie étroite le laissait apercevoir sur le sentier, ou bien le craquement de quelque brindille trahissait son passage : puis il fut impossible de le voir ou de l’entendre davantage.