Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/41

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Prenez ces papiers et examinez-les. Voyez, ajouta-t-il en ramassant sur la table quelques feuilles imprimées : B. est un petit marchand, un commis, un ecclésiastique, un artiste, un auteur, en un mot, ce que vous voudrez.

– Oui, dit Jonas, regardant avec intérêt par-dessus l’épaule de Tigg. Très-bien.

– B. a besoin d’emprunter. Disons cinquante ou cent livres sterling ; peut-être davantage, mais n’importe. B. s’appuie sur deux cautions. B. est accepté. Les deux cautions s’engagent. B. assure sa vie pour le double du chiffre ordinaire, et procure deux assurances d’amis, pour patronner l’office. Ah ! ah ! ah ! N’est-ce pas une bonne idée ?

– Ma foi, oui, une idée excellente ! s’écria Jonas. Mais le fait-il ainsi réellement ?

– S’il le fait ainsi ! répéta le président. B. est fanatisé, mon cher, et il fera tout ce qu’on voudra. Comprenez-vous ? Eh bien ! cette idée-là est de mon cru.

– Elle vous fait honneur, Dieu me bénisse, elle vous fait honneur.

– Je le crois, répliqua le président, et je suis fier de vous l’entendre dire. B. paye le plus haut intérêt légal…

– Ce n’est pas trop, interrompit Jonas.

– Bien ! très-bien ! … Et ce n’est pas trop beau non plus, de la part de la loi, de nous tenir si serrés, infortunées victimes que nous sommes, quand elle demande pour elle-même à tous ses clients un intérêt si prodigieux. Mais comme dit le proverbe : « La charité commence à la maison et la justice à la porte voisine. » Bien ! la loi nous tenant donc si serrés, nous n’avons pas de raison pour être bien tendres à l’endroit de B. En conséquence, nous mettons à la charge de B. l’intérêt régulier : nous gagnons la prime de B. et celle des amis de B., et nous imputons à B. les frais du traité ; et soit que nous l’acceptions ou non, nous portons à son compte les frais « d’enquête » (pour cela nous avons un homme, à une livre sterling par semaine), et, de plus, nous faisons payer à B. quelque chose pour le secrétaire. En résumé, mon cher ami, nous poussons B. par monts et par vaux, et il nous constitue sur sa personne un petit revenu diablement gentil. Ah ! ah ! ah ! En réalité, dit Tigg, montrant son cabriolet, je vous mène B. bon train, et c’est un fier cheval pur sang. Ah ! ah ! ah ! »

Jonas s’amusa infiniment de ces saillies : c’était le genre d’esprit qui lui convenait le mieux.