Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/419

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terre cacher ; la vérité, dont l’inspiration terrible semblait changer les radoteurs eux-mêmes en hommes énergiques ; la vérité, dont les ailes vengeresses, que Jonas croyait au bout du monde, étaient venues tout à coup fondre sur lui et l’envelopper.

Il essaya de nier ; sa langue resta paralysée. Il eut l’idée désespérée de s’enfuir et de courir par les rues ; mais ses jambes ne répondirent pas plus à sa volonté que son visage roide, inerte et fixe. Et durant tout ce temps la voix du complice continua de l’accuser lentement, comme si chacune des gouttes du sang versé dans le bois avait trouvé une voix pour railler l’assassin.

Quand Lewsome eut achevé, une autre voix reprit la suite du récit, mais elle était étrange : c’était celle du vieux commis qui avait tout écouté attentivement, tout compris, et qui de temps en temps avait crispé ses mains, comme s’il reconnaissait la vérité d’un récit qu’il pouvait confirmer lui-même. Enfin il éclata à son tour :

« Non, non, dit-il ! vous vous trompez… Vous êtes tous dans l’erreur ! Prenez patience, car la vérité n’est connue que de moi seul !

– Comment serait-ce possible après ce que nous venons d’entendre ? dit le frère de son vieux maître. D’ailleurs vous venez de me dire là-haut, quand je vous ai appris l’accusation portée contre lui, que vous saviez qu’il était l’assassin de son père.

– Oui, oui, il l’est ! … cria Chuffey avec une sombre énergie ; mais il ne l’est pas de la manière que vous supposez. Attendez ! laissez-moi un instant de réflexion. Bien, m’y voilà… m’y voilà ! … C’est affreux, affreux, cruel, abominable ; mais ce n’est pas comme vous le supposez. Attendez, attendez ! »

Il appliqua ses mains contre sa tête, comme si ses tempes battaient à le faire souffrir. Après avoir promené d’abord autour de lui un regard incertain et vague, ses yeux se fixèrent sur Jonas, et parurent alors briller du feu de la mémoire et de l’intelligence, qui se ranimait soudain.

« Oui ! oui ! s’écria le vieux Chuffey. Voici comment cela se passa. À présent je me rappelle tout. Il… il sortit de son lit avant de mourir, bien certainement pour lui dire qu’il lui pardonnait, et il descendit avec moi dans cette chambre ; et quand il l’aperçut… son fil unique, son fils chéri… la pa-