Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces derniers temps. Couchant tout cela par écrit, et le collectionnant avec soin, je réunis assez de preuves pour que M. Montague pût l’accuser du crime qu’il avait commis, ou plutôt qu’il a cru jusqu’à ce soir avoir commis. Je le tenais quand l’assassinat a eu lieu. Vous voyez maintenant où il en est : c’est bien pis. »

Ô misérable, misérable fou ! ô insupportable et dévorante torture ! Trouver en vie, là, devant lui, le cerveau et la main droite du secret qu’il avait cru enfoncer à coups de pied dans la terre ! et penser que ce secret accusateur se serait toujours levé vivant et promené partout victorieux, quand même l’assassin aurait, par enchantement, muré, scellé dans le creux d’un rocher le cadavre de l’homme assassiné ! Il essaya de se boucher les oreilles avec ses mains garrottées, afin de n’entendre pas le reste.

Tandis qu’il gisait sur le plancher, chacun s’était éloigné de lui, comme si son souffle était pestilentiel. Successivement les assistants se retirèrent de l’autre côté de la chambre, le laissant seul étendu par terre. Ceux-là même qui étaient chargés de le garder s’écartèrent de lui et se tinrent à une certaine distance, à l’exception de Slyme, qui était toujours occupé à croquer ses noix.

« C’est de cette fenêtre de grenier qui est en face, dit Nadgett en indiquant une lucarne de l’autre côté de l’étroite rue, que j’ai surveillé cet homme et sa maison durant des nuits et des jours. C’est de cette fenêtre de grenier qui est en face, que je le vis revenir seul d’un voyage pour lequel il était parti en compagnie de M. Montague. C’était pour moi la preuve que M. Montague avait atteint son but ; je pouvais donc me relâcher de ma surveillance, bien que je ne dusse point y renoncer sans ordres ultérieurs et formels. Mais comme je me tenais sur la porte d’en face, cette même nuit-là, dans l’ombre, j’aperçus un paysan qui sortait à la dérobée par une porte de derrière donnant sur la cour de cette maison. Ce paysan, je ne l’avais pas vu entrer. Je le reconnus à son pas : c’était lui, sous un déguisement. Aussitôt je le suivis. Je l’ai perdu de vue sur la route de l’Ouest ; il continuait d’aller dans cette direction. »

Jonas regarda un moment Nadgett et murmura un juron.

« Je ne pouvais comprendre ce que cela signifiait, dit Nadgett ; mais j’en avais déjà tant vu, que je résolus de pousser plus loin, jusqu’au bout, mes recherches. C’est ce que je fis. Je pris des renseignements auprès de sa femme ;