Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/52

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avait vantées en lui, Jonas fit un grand étalage de ces qualités, et il fut tellement profond et fin qu’il se perdait dans sa propre profondeur, et s’enferrait lui-même sans s’en douter.

Il était dans ses habitudes et dans sa nature de déployer ses qualités aux dépens de son amphitryon ; et tandis qu’il buvait le vin généreux et prenait sa part de la monstrueuse profusion de son hôte, il se plaisait à railler l’extravagance qui lui faisait faire à grands frais un si bonne chère. Même dans un festin si désordonné et dans une compagnie plus que douteuse, cette disposition eût pu avoir quelque suite fâcheuse, si Tigg et Crimple, s’appliquant à connaître leur homme à fond, ne lui eussent donné toute licence ; sachant bien que, plus il en prendrait, plus ce serait utile à leurs projets. Ainsi, tandis que ce hérisson maladroit, dupe de ses adversaires en dépit de toute sa finesse, se croyait bien à l’abri sous ses pointes acérées qu’il leur présentait de tous côtés, il ne faisait au contraire que trahir à leurs yeux vigilants son côté vulnérable.

Soit que les deux gentlemen qui avaient si bien contribué à satisfaire l’intérêt philosophique du docteur (lequel, par parenthèse, s’était glissé tranquillement dehors, après avoir avalé son compte habituel de petits verres), eussent reçu d’avance les instructions de leur hôte ou se fussent inspirés de tout ce qu’ils pouvaient entendre et voir, le fait est qu’ils remplissaient leur rôle à merveille. Ils sollicitaient l’honneur de faire plus ample connaissance avec Jonas ; ils l’assuraient qu’ils auraient le plaisir de l’introduire dans cette société élevée où il était appelé à briller, et, de la manière la plus cordiale, ils l’informaient qu’ils mettaient entièrement à sa disposition les avantages de leurs relations respectives. En un mot, ils lui dirent : « Soyez des nôtres ! » Jonas répondit qu’il leur était infiniment obligé, et qu’il ne demandait pas mieux, en ajoutant in petto que, tant qu’on le régalerait, on pouvait compter sur lui.

Après le café qui fut servi dans la salle à manger, il y eut un court intervalle de conversation dont Pip et Wolf firent principalement les frais ; conversation de haut goût et fortement assaisonnée d’épices. Quand elle commençait à languir, Jonas la relevait avec ardeur, estimant la valeur du mobilier, s’informant si tel ou tel article était payé, demandant ce qu’il avait pu coûter, et ainsi de suite, s’imaginant par là qu’il vexait horriblement Montague, et qu’il y trouvait l’occasion de présenter ses propres qualités sous leur jour le plus brillant.