Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/77

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quand ce serait vrai, n’avait-il pas un grand nombre de moyens pour se soustraire à son serment et rassurer sa conscience ? M. Pecksniff savait bien que la chose était facile. Que l’isolement de Mary, laissée après lui sans protecteur, ne fût pas un léger souci pour l’esprit du vieillard, M. Pecksniff le savait aussi, car il avait souvent entendu M. Chuzzlewit en exprimer de l’inquiétude. « Mais, se disait M. Pecksniff, si je l’épousais ! … Eh bien ! répétait-il, redressant sa chevelure et contemplant son buste sculpté par Spoker : si je commençais par m’assurer de l’assentiment du vieillard (il est à peu près imbécile, le pauvre gentleman), si j’épousais Mary ! … »

M. Pecksniff avait à un degré très-vif le sentiment de la beauté, surtout chez les femmes. Sa conduite à l’égard du beau sexe était remarquable par le caractère de l’insinuation. On se souvient qu’à un autre endroit de ce livre il embrassait Mme Todgers à la moindre occasion. C’était une faiblesse qu’il avait comme ça, une suite de la douceur naïve de ses dispositions naturelles. Avant d’avoir dans l’esprit aucune pensée matrimoniale, il avait donné à Mary quelques petits témoignages de son admiration platonique. Ils avaient été repoussés avec indignation, mais cela ne faisait rien. Il est vrai que, sitôt que cette idée se fut développée en lui, sa passion devint trop ardente pour échapper à l’œil perçant de Cherry, qui lut tous ses projets d’un seul regard. Mais M. Pecksniff n’en avait pas moins continué à ressentir le pouvoir des charmes de Mary. Ainsi, l’Intérêt et l’Amour marchaient de pair, attelés ensemble au char matrimonial du plan de M. Pecksniff.

Quant à certaine velléité de faire payer ainsi au jeune Martin les expressions insolentes dont il s’était servi au moment de leur séparation, et de lui fermer encore plus toute espérance de réconciliation avec son grand-père, M. Pecksniff était trop doux et trop miséricordieux pour être soupçonné de nourrir une pareille idée. Quant à être repoussé par Mary, M. Pecksniff était convaincu que, dans sa position, Mary ne pourrait jamais résister, si M. Chuzzlewit et lui se trouvaient tous deux réunis contre elle. Quant à consulter les vœux de la demoiselle dans une telle circonstance, cela n’entrait pas dans le code moral de M. Pecksniff : car il connaissait son prix, il savait que son alliance ne pouvait être regardée que comme une bénédiction par la personne intéressée. Sa fille ayant rompu la glace et brisé entre eux tout lien, M. Pecksniff n’avait plus