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tions que le verbe latin legere, & se prend non-seulement pour lire, mais encore pour cueillir, recueillir, ramasser. Mais quoique l’Alcoran puisse être appelé Collection, parce que c’est le ramas, ou la collection de tous les préceptes de Mahomet & de sa loi, il paroît plus vraisemblable que c’est dans le premier sens qu’on a pris ce nom, & qu’on le lui a donné pour faire entendre que c’est la lecture, ou le livre de lecture par excellence. Mahomet, qui a été le singe des Juifs & des Chrétiens, a emprunté d’eux, & a donné à son livre les mêmes noms qu’ils donnent à la Bible, voulant marquer par là que son Alcoran n’étoit pas moins divin que la Bible. Aussi l’appelle-t-il quelquefois Alkitab, comme les Juifs disent הכתוב, c’est-à-dire, l’Ecriture, comme nous disons en grec τὰ βιϐλία, & en latin Biblia, c’est-à-dire, le livre par excellence ; il lui donne le nom de Livre de Dieu, pour montrer qu’il l’a reçu de Dieu. Les Mahométans l’appellent encore אל פר קאן, alphorkan, du verbe פרק, pharaca, qui signifie distinguer, ou parce que ce livre distingue, selon eux, le vrai du faux, & ce qui est permis de ce qui ne l’est pas, ainsi que Marraci l’a prétendu ; ou peut être parce qu’il contient les chapitres de la loi, ou de Mahomet, & dans le sens que les Hébreux donnent à quelques livres le nom de פרקים ; Parakim Capita, ou Capitula ; par exemple, אבות ,פרקי Capita Patrum, Majorum ; אליעזר ,פר קיר Capitula R. Eliezer. Car Alphorkan est aussi en arabe le pluriel du nom פרק phark, ou alphark, qui signifie la même chose que l’hébreu פרק perck. Enfin, ils appellent encore l’Alcoran Alzechr, avertissement, ou plutôt, si l’on peut ainsi parler, remembrance, parce qu’il fait remémorer, c’est-à-dire, qu’il conserve ou rappelle la mémoire de la loi. Il est divisé en Surates, c’est a-dite, en Sections, ou Chapitres, & chaque Section, ou Surate, est divisée en petits versets, qui sont la plûpart écrits d’un style fort coupé, & qui approche plus des vers que de la prose. Les Mahométans ont chez eux, aussi-bien que les Juifs, une espèce de Massorettes, qui ont compté le nombre des versets, des mots, & même de toutes les lettres qui sont dans l’Alcoran.

Nous croyons communément que Mahomet est l’Auteur de ce Livre, & qu’un Moine nommé Sergius, l’a composé avec lui. Mais les Mahométans croient comme un article de foi, qu’il n’a point été composé par leur faux Prophète, qui a été, disent-ils, un homme sans littérature. Ils sont persuadés que comme Dieu a donné la loi à Moyse, l’Evangile à Jesus-Christ, & d’autres Livres sacrés aux autres Prophètes ; de même il a donné l’Alcoran à Mahomet ; & qu’il s’est servi pour cela du ministère de l’Ange Gabriel, qui ne l’a néanmoins communiqué que peu à peu, par versets, & en différens lieux, pendant l’espace de 23 ans. C’est ce qui fait que tout cet ouvrage est sans ordre, parce que Mahomet, ou plutôt son Copiste, ayant mis ces versets dans une boîte, sans aucun ordre, & avec confusion, il n’a pas été possible de les remettre dans leur premier ordre, quelque soin que les Docteurs Mahométans aient pris pour le trouver. Ces 23 années, qu’on suppose que l’Ange Gabriel employa pour donner l’Alcoran entier à Mahomet, sont d’une merveilleuse utilité à ses Sectateurs. Car elles leur servent de dénouement pour répondre à ceux qui leur opposent les contradictions manifestes dont ce Livre est rempli. Ils disent que c’est Dieu même qui est l’auteur de ces contradictions, parce qu’il a révoqué dans la suite du temps plusieurs préceptes qu’il avoit d’abord donnés, la nécessité des choses le demandant ainsi. Ils ont même marqué dans leurs Commentaires les versets de l’Alcoran que Dieu a révoqués & abrogés.

M. d’Herbelot croit que ce qu’il y a de plus vraisemblable touchant la composition de l’Alcoran, est que plusieurs Evêques, Prêtres, Moines, & autres gens ayant été relégués par les Empereurs dans les déserts de l’Arabie & de l’Egypte, après que les hérésies des Nestoriens, des Eutychiens, & des Monothélites eurent été condamnées par les Conciles œcuméniques, il s’en trouva d’assez méchans pour fournir à Mahomet les Mémoires peu fidèles & mal conçus de l’ancien & du nouveau Testament, dont il a prétendu couvrir ses impostures. Les Juifs qui s’étoient fort répandus dans l’Arabie y ont contribué aussi de leur côté ; & ce n’est pas sans raison qu’ils se vantent que douze de leurs principaux Docteurs ont été les Auteurs de ce Livre détestable, dans la vûe de confondre les Chrétiens sur l’étendue de la Religion. L’Alcoran est plein de sentimens erronés des hérétiques dont on a parlé, ce qui confirme la conjecture.

On remarquera que cet Alcoran n’étoit du temps de Mahomet qu’en des feuilles séparées, qui ne faisoient point un corps de Livre. Ce fut Aboubécre son successeur qui ramassa ces feuilles dispersées, & en fit un volume, qu’il donna à garder à Haphsa veuve de Mahomet, pour servir d’original. Comme il se trouva de la variété entre les exemplaires de ce Livre, qui furent répandus en diverses provinces, Othman, successeur d’Aboubécre, les fit ramasser, & donna ordre qu’on fît plusieurs copies de l’Alcoran sur l’exemplaire de Haphsa ; l’on supprima en même temps tous les autres qui n’y étoient point conformes. Cette révision cependant, quelque exacte qu’elle fût, n’a pas empêché qu’il ne se trouve encore aujourd’hui de la diversité entre les exemplaires de ce Livre ; & elle consiste principalement dans les points voyelles, qui n’étoient peint encore en usage au temps de Mahomet & de ses successeurs. Ils y ont été ajoutés dans la suite, pour en fixer la lecture, de la même manière que les Massorettes des Juifs ont ajouté ces sortes de points voyelles au texte hébreu de l’Ecriture : & comme ceux-ci ont eu des critiques qui ont marqué les véritables leçons de leur texte, il se trouve aussi parmi les Mahométans des Ecrivains qui ont composé des Livres touchant la véritable lecture de l’Alcoran.

Il y a sept éditions principales de l’Alcoran ; deux faites à Médine, une à la Mecque, une à Coufa, une autre à Balsora, une en Syrie, & une que l’on appelle Commune, ou Vulgate. La première de ces éditions contient six mille versets ; les autres la surpassent de 200 jusqu’à 236. Mais elles sont toutes égales quant au nombre des mots & des lettres, car dans tous les exemplaires de ce Livre on compte 77639 mots, & 323015 lettres.

Cet ouvrage a été d’abord divisé en petits versets : en quoi ils ont suivi les Grecs & les Latins, qui ont nommé ces sortes de versets σίχους, Lineas, versiculos ; & quoiqu’ils aient différentes éditions, où le nombre de ces versets est marqué différemment, cette variété est de nulle importance ; car tous les exemplaires de l’Alcoran conviennent pour le nombre des mots & des lettres ; & à l’égard de la division des Surates, ou Chapitres, elle est assez nouvelle. Les Mahométans le partagent communément en 60 sections ; & chaque section se récite en différens temps, & en diverses occasions, dans les Mosquées, où ils ont des gens gagés pour faire cette lecture.

Il y a un si grand nombre de Commentateurs & d’Interprètes sur l’Alcoran, que l’on pourroit faire un gros volume des seuls titres de leurs Livres. Ben Oschair en a fait une histoire assez ample, intitulée, Tarikh Ben Oschair. Tous ces Commentaires portent en général le titre de Taffir. Les principaux sont Reidhaori Thaalebi, Zamalchischari, & Bacai.

Comme l’usage de l’impression n’est point chez les Mahométans, & qu’elle y est au contraire défendue par les loix de l’Etat, il n’est pas surprenant qu’on n’en ait vû aucune édition jusqu’à ces derniers temps. Il en a paru une à Hambourg in-4o. en 1694, où il n’y a que le texte arabe. Le P. Maracci, Professeur en langue arabe dans le Collége de Rome, l’a fait imprimer à Padoue in-folio en 1698, avec une version latine, à laquelle il a travaillé pendant 40 ans. Il l’a accompagnée de notes prises des Docteurs Mahométans ; & il réfute en même temps la doctrine de l’Alcoran, dont il fait voir les faussetés assez au long dans un ouvrage séparé qu’il a mis à la tête de son édition, sous le titre de Prodrome.

Outre l’Alcoran, qui est le principal fondement de la religion des Mahométans, ils ont un autre Livre qui renferme leurs traditions, auquel ils ont donné le nom