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ABY

cide au septentrion, & la rivière Abana à l’orient. P. Lubin.

ABYME ou ABÎME, mieux qu’ABYSME. s. m. Gouffre profond où l’on se perd, d’où l’on ne peut sortir. Gurges, vorago. Ce mot, dit M. l’Abbé Girard, emporte avec lui l’idée d’une profondeur immense, jusqu’où l’on ne sauroit parvenir, & où l’on perd également de vue le point d’où l’on est parti, & celui où l’on vouloit aller. Voyez aux articles Précipice & Gouffre, la signification propre de ces mots, & les nuances qui les distinguent. On est englouti par le gouffre. On tombe dans le précipice. On se perd dans l’Abyme. Il y a d’horribles abymes dans ces montagnes, dans ces mers.

Le ciel suspend ses coups ; la terre, les enfers,
N’offrent point à mes pas leurs abymes ouverts.

Ce mot vient du Grec ἄβυσσος, qui signifie la même chose, & qui est formé de l’α privatif, & de δυω, entrer, pénétrer, en changeant le δ en β ; ou plutôt de βύω, βώσω, βιβυϰα, βέβυσμαι, βέβυσαι, d’où est venu βυσος. De sorte qu’ἄβυσσος signifie ce que l’on ne peut pénétrer, ce qui n’a point de fond. Dans l’Ecriture il se prend pour les eaux que Dieu créa au commencement avec la terre, & qui l’environnoient de toutes parts, dont il est dit, Gen. i. 2. Les ténebres étoient sur la surface de l’abyme. Il se prend encore pour les cavernes immenses de la terre, où Dieu rassembla toutes ces eaux le troisième jour, & que Moyse appelle le grand abyme. Gen. vii. 11. C’est encore en ce sens que ce mot est pris en beaucoup d’autres endroits, comme Job. xviii. 14. xxxviii. 16. Psalm. xxxiii. 7. &c. Le Docteur Woodward, savant Anglois, dans son Histoire naturelle de la terre, prétend qu’une partie des eaux est enfermée dans les entrailles de la terre, & qu’elles forment un grand globe dans son centre ; que sur la surface de ses eaux est étendue une couche de la terre ; que c’est là ce que Moyse a appelé le grand abyme. Et il prouve ce système par un grand nombre d’observations. Il dit que ces eaux de l’abyme, ont communication avec celles de l’Océan, par des canaux qui aboutissent au fond de la mer. Il suppose que ces eaux de l’abyme, & celles de l’Océan, ont un centre commun, autour duquel elles sont placées ; que cependant la surface de l’abyme n’est point de niveau avec celle de l’Océan, ni en égale distance de leur centre commun, parce que celles de l’abyme sont la plûpart pressées par la terre, qui les arrête & qui pese dessus ; mais que partout où cette couche de terre qui les enveloppe, est percée, ou poreuse, ces eaux y pénétrent, y montent & remplissent toutes ces fentes, qui leur donnent issue, tous les vides, tous les pores de la terre, de la pierre, & de toutes les autres matières qui sont autour du globe de la terre, jusqu’à ce qu’elles soient arrivées au niveau de l’Océan.

Dans le langage de l’écriture, abyme se dit pour signifier l’enfer. Dieu précipita les Anges rébelles dans l’abyme. Voyez aussi l’art. précédent.

Abyme, se dit aussi figurément des choses impénétrables à l’esprit humain, où il se perd à force de raisonner. Les jugemens de Dieu, les mystères de la religion sont des abymes dont on ne peut sonder la profondeur. Le passé est un abyme qui engloutit toutes choses, & l’avenir est un autre abyme impénétrable. Nicol.

On le dit de même des sciences très-difficiles, & qui demandent une extrême application. La Physique est un abyme. L’Algèbre est un abyme où l’on se perd. Souvent la raison du Philosophe, à force de chercher de l’évidence en tout, ne fait que se creuser un abyme de ténebres.

Abyme, se dit aussi des choses qui demandent, & qui consument des sommes excessives, dont on ne peut juger avec certitude. On ne sauroit fixer, déterminer la dépense de la marine, c’est un abyme. La dépense de cette maison est excessive, c’est un abyme. On dit en proverbe, qu’un abyme attire l’autre, quand d’un mal on tombe dans un plus grand.

On dit figurément un abyme de malheur, un abyme de misère ; pour signifier un extrême malheur, une extrême misère. Il est tombé dans un abyme de misère.

On dit d’un homme très-savant, que c’est un abyme de science.

Abyme, terme de Blason. C’est le centre, ou le milieu de l’écu, en sorte que la pièce qu’on y met, ne touche & ne charge aucune autre pièce. Scuti centrum, scuti pars media, ou partium aliquot scuti medium. Ainsi on dit d’un petit écu, qui est au milieu d’un grand, qu’il est mis en abyme. Et tout autant de fois qu’on commence par toute autre figure que par celle du milieu, on dit que celle qui est au milieu est en abyme, comme si on vouloit dire, que les autres grandes pièces étant relevées en relief, celle-là paroît petite, & comme cachée & abymée. Il porte trois besans d’or, avec une fleur de lis en abyme. Ainsi ce terme ne signifie pas simplement le milieu de l’écu : car il est relatif, & suppose d’autres pièces, au milieu desquelles une plus petite est abymée.

Abyme. s. m. Terme de Chandeliers. C’est le vaisseau de bois dans lequel ils mettent le suif fondu, où ils trempent leur mèche pour fabriquer leur chandelle. Ce vaisseau est de forme triangulaire, & posé sur un des angles ; ensorte qu’il y a une ouverture de près d’un pied par en haut, ce qui fait une espèce de prisme renversé.

☞ ABYMER. v. a. Dans le sens propre, jeter, précipiter dans un abyme. Voyez ce mot. Mergere, demergere. Les ouragans abyment les vaisseaux. Les cinq villes que Dieu abyma. Les tremblemens de terres abyment des villes entières. Dans ce sens il présente l’idée de destruction, ruine.

Abymer, dans un sens figuré, signifie ruiner entièrement. Evertere, pessumdare. Les gros intérêts ont abymé ce Marchand. Ce chicaneur a abymé sa partie, il l’a ruinée de fond en comble. Cet homme est puissant & vindicatif, il vous abymera. Les dépenses excessives ont abymé cet homme.

On dit en matière de dispute & de raisonnement, qu’un homme a été abymé par son adversaire, qu’il a été réduit à ne rien répondre.

Abymer. v. n. Tomber dans un abyme. Hauriri, absorberi. Cette ville abymera un jour à cause des abominations qui s’y commettent. Lisbonne abyma dans un tremblement de terre.

Au figuré, il signifie la même chose que périr. Ce méchant abymera avec tout son bien.

Abymer, se dit au figuré avec le pronom personnel dans des acceptions différentes.

s’Abymer dans l’étude des Mathématiques, dans la contemplation des merveilles de Dieu, dans sa douleur, dans ses pensées, &c. c’est s’y livrer, s’y abandonner entièrement, sans aucune réserve, en sorte qu’on ne soit plus occupé d’aucune autre chose. C’est un voluptueux qui s’abyme dans les plaisirs.

s’Abymer, est quelquefois synonyme avec se ruiner. Bonis everti. Ce jeune homme s’est abymé par le luxe, par le jeu, par la débauche.

On dit, s’abymer devant Dieu; pour dire, s’humilier profondément, reconnoître son néant devant lui. deprimere se, minuere.

☞ ABYMÉ, ÉE. Au propre, une ville abymée par un tremblement de terre. Un homme abymé dans la mer. Demersus. Au figuré, un joueur, un plaideur, un Marchand abymé de dettes. Bonis eversus. On dit un homme abymé, un homme qui a perdu son crédit, sa réputation, ses biens, &c. Une femme abymée dans la douleur.

On dit abymé dans la douleur, dans la tristesse, &c. parce qu’on y peut ajouter l’épithète de profonde. Mais on ne peut pas dire, comme Corneille, dans Sertorius,

Tandis qu’en esclavage un autre hymen l’abyme,

parce qu’un esclavage n’est point profond : on ne sauroit y être abymé. Il y a, dit Voltaire, une infinité d’expressions louches, qui font peine au Lecteur ; on en sent rarement la raison, on ne la cherche pas même ; mais il y en a toujours une ; & ceux