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peut savoir précisément le temps où cette secte commença ; qu’elle se forma secrètement lorsque la vénération pour les traditions des Rabbins s’introduisit ; qu’elle se fomenta & s’accrût insensiblement ; & qu’elle n’éclata & ne fut publique qu’après la collection du Talmud.

Vossius décrit ainsi l’origine, les progrès & la décadence des Caraïtes, sur les Mémoires du Caraïte Mardochée. Alexandre Jannée, Roi des Juifs, qui régnoit cent ans avant Jésus-Christ, fit massacrer tous les Docteurs de la loi, & presque tous les Savans de la nation. Ce massacre, selon les Caraïtes, fut la cause du schisme qui divisa les Juifs. Siméon fils de Schétach, & frère de la Reine, homme savant, mais ambitieux & sans religion, ayant été soustrait par sa sœur à la colère du Roi, s’enfuit en Egypte, où il imagina le systême des prétendues traditions. Etant de retour à Jerusalem, il débita ses visions, & interpréta la loi comme il lui plut ; & appuyant ses nouveautés sur des connoissances que Dieu, disoit-il, avoit communiquées de bouche à Moïse, &, dont il se vantoit d’être le dépositaire, il s’attira un grand nombre de disciples. Plusieurs aussi lui résistèrent, & soutinrent que tout ce que Dieu avoit révélé à Moïse étoit écrit. De-là les deux sectes. Parmi les Caraïtes, Juda fils de Tabbaï, se distingua. Hillel brilla parmi les Traditionnaires ; Schamaï parmi les Textuaires. Vossius met au nombre de ceux-ci, non seulement les Sadducéens, mais aussi les Scribes, dont il est parlé dans l’Evangile. L’adresse & le crédit des Pharisiens prévalurent ; le nombre des Caraïtes diminua de jour en jour : & ils seroient tombés dans le dernier mépris dès le VIIIe siècle, si Anan n’avoit alors relevé leur parti. Au IXe siècle, le Rabbin Schalomon, fils de Jérucham, imita le zèle d’Anan, & attaqua le fameux Chadias Haggaon. Les siècles suivans ne furent pas moins heureux pour les Caraïtes, & fournirent plusieurs Ecrivains fameux, entr’autres Abu Alphorag au XIIe siècle ; mais depuis le XIVe siècle, leur secte a paru tomber dans le découragement.

Les Caraïtes sont demeurés presque inconnus, parce que leurs livres l’ont été même aux plus habiles & aux plus curieux Hébraïsans. Buxtorf n’en a vu aucun, Selden en a vu deux, & le P. Morin un. M. Trigland, qui a fait un traité sur les Caraïtes, imprimé en 1705 à Delft avec les Oppuscules de Serrarius, de Drusus, & de Scaliger, Trium Illustrium Scriptorum de Tribus Judœorum sectis Syntagma ; M. Trigland, dis-je, assure qu’il en a recouvré un nombre suffisant pour pouvoir parler avec certitude de cette secte judaïque. Voici ce qu’il en dit de particulier. Peu après que les Prophètes eurent cessé, les Juifs se partagèrent touchant les œuvres de surérogation, les uns soutenant qu’elles étoient nécessaires selon la tradition, & les autres s’en tenant à ce qui est prescrit par la loi. Ceux-ci donnèrent naissance à la secte des Caraïtes ; & c’est ce qu’il entreprend de prouver par le témoignage des Caraïtes, qui se vantent de venir des Prophètes Aggée, Zacharie, Malachie, Esdras. Un de leurs principaux Auteurs, Moïse Reschitzi, assure qu’après bien des recherches il a trouvé que du temps de Jean Hircan & d’Alexandre son fils, R. Jehuda, fils de Thaddaï, s’opposa à R. Siméon fils de Sérach, qui s’efforçoit d’introduire une loi nouvelle ; & que de-là viennent les Caraïtes. Les plus renommés de leurs adversaires Maïemonides, Abraham fils de Dior, l’Auteur de Sépher Cozri, & celui du Taanith Abraham Zachut, conviennent qu’en ce temps s’éleva la secte des Sadducéens & des Caraïtes. La Mischne fait mention des Caraïtes en parlant de Thephillim. M. Trigland dit que R. Eliézer le grand étoit Caraïte. Une preuve encore de l’ancienneté des Caraïtes est, selon lui, que les mêmes points de doctrine ou de discipline, qui sont controversés entr’eux & les Juifs Rabbanistes, l’ont été avant le Talmud. Par exemple, les Néoménies, la célébration de Pâques, celle de la Pentecôte, le jour de la fête de l’Expiation, & d’autres que l’on peut voir au ch. IVe du Traité dont nous parlons. Dans le Ve il montre qu’ils ne sont point Sadducéens ; qu’ils leur disent anathême & à Sadoc leur Chef ; que l’Auteur du Cozri, Maïemonides & d’autres, le distinguent des Sadducéens ; que Sadoc, disciple d’Antigone, vivoit environ l’an du monde 3460 & qu’Alexandre Jannée, sous lequel se forma la secte des Caraïtes, ne commença à régner qu’en 3670 que Jean Hircan fut Caraïte, & non pas Sadducéen, & qu’il y a une erreur dans Josephe ; que les Juifs Rabbanistes pour rendre les Caraïtes odieux, se plaisent à les confondre avec les Sadducéens. Enfin, il croit que les Scribes & Docteurs de la loi du Nouveau-Testament, sont les Caraïtes, & que ces noms sont synonymes de Caraïte, ou Scripturaire.

Ainsi, selon M. Trigland, après le retour de Babylone, on rétablit l’observation de la loi. On crut différentes pratiques utiles à cet effet : elles furent introduites, & regardées comme nécessaires & ordonnées par Moïse. Ce fut là l’origine du Pharisaïsme. Un parti opposé continua néanmoins à n’écouter que ce qui étoit prescrit par la loi selon la lettre ; c’étoient les Caraïtes. La dissenssion éclata sur Jean Hircan, à l’occasion que raconte Josephe, Liv. XIII de ses Ant. Jud. ch. 21, R. Anan, qui vivoit vers le milieu du VIIe siècle, n’est donc point l’Auteur, mais tout au plus le restaurateur de la secte des Caraïtes.

Il y a des Caraïtes, dit Léon de Modène, à Constantinople, au Caire, & en d’autres endroits du Levant ; il y en a aussi en Russie. Ils vivent à leur manière, ayant leurs Synagogues, leurs cérémonies & coutumes, se disant Juifs, & prétendant être les seuls vrais observateurs de la loi de Moïse : ils nomment les Juifs qui ne sont point de leur opinion Rabbanim, ou Sectateurs des Rabbins. Nous les nommons en françois Rabbanistes. Ceux-ci haïssent mortellement les Caraïm, & ne veulent point s’allier, ni même converser avec eux. Ils les traitent de mamzerim, ou bâtards parce qu’ils n’observent point les constitutions des Rabbins dans les mariages, dans leurs répudiations & dans leurs purifications des femmes. Cette aversion est si grande, que si un Caraïte vouloit se faire Rabbaniste, les autres Juifs ne le recevroient point.

Il n’est pas vrai que les Caraïtes rejettent absolument toutes sortes de traditions. Ils reçoivent celles qui leur paroissent bien fondées. Selden, qui s’étend assez au long sur leurs sentimens dans son livre intitulé Uxor Hebraica, demeure d’accord qu’outre le texte de l’Ecriture, ils reçoivent de certaines interprétations qu’ils appellent héréditaires : or ces interprétations héréditaires sont de véritables traditions. Ils ne rejettent donc que celles qui n’ont aucun fondement, & qui sont de pures rêveries des Rabbins. C’est ce que M. Simon prouve par un célèbre Auteur Caraïte, nommé Aaron, dont le commentaire se trouve en manuscrit dans la Bibliothèque des Pères de l’Oratoire de Paris.

Il montre par ce même Auteur, que toutes les erreurs dont les Juifs Rabbanistes accusent les Caraïtes sont des calomnies : loin d’être Sadducéens, ils croient l’ame immortelle & spirituelle ; ils disent que le monde futur a été fait pour l’ame de l’homme. En un mot, leur Théologie ne diffère point de celle des autres Juifs, si ce n’est qu’elle est plus pure & plus éloignée de la superstition : car ils n’ajoutent aucune foi aux explications des Cabalistes, ni aux allégories qui n’ont aucun fondement. Ils rejettent toutes les constitutions du Talmud, si elles ne sont conformes à l’Ecriture, ou si on ne les en peut tirer par des conséquences manifestes & nécessaires. En voici trois exemples qui méritent qu’on y fasse réflexion.

Le premier regarde les Mezouzot, ou parchemins que les Juifs attachent à toutes les portes où