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ADAM (PALÉONTOLOGIE)

Cet argument se retourne, on peut le dire, contre ceux qui l’emploient. Si l’âge de la pierre avait eu la durée qu’ils lui attribuent, il serait inexplicable que les objets en pierre fussent aussi rares qu’ils le sont ; car, il faut se le rappeler, les objets de cette nature ne sont pas comme les instruments en métal, qui s’oxydent et disparaissent : ils subsistent indéfiniment ; même quand ils se brisent, les fragments en sont reconnaissables.

Encore convient-il, si l’on veut avoir véritablement le mobilier de l’âge paléolithique ou quaternaire, d’éliminer un bon nombre d’armes ou d’outils en pierre qui doivent appartenir à l’âge historique. Il s’en faut, en effet, que l’usage de la pierre ait disparu avec l’apparition des métaux. Il s’est prolongé, pour ainsi dire, jusqu’à nos jours, même dans nos pays civilisés ; il serait facile d’en fournir des preuves empruntées à l’histoire et à l’archéologie. Tout instrument de pierre ne remonte donc pas nécessairement à l’âge de la pierre. Pour être autorisé à l’y rattacher, il faut que les conditions de gisement nous y invitent.

Nous n’en reconnaissons pas moins qu’il y eut un temps où la pierre fut utilisée à l’exclusion de tout métal. Nous consentons même, en face d’un certain nombre de faits assez significatifs, à partager cet âge en deux époques : l’époque paléolithique (ou quaternaire) et l’époque néolithique, celle de la pierre taillée et celle de la pierre polie, bien que cette dernière tende de plus en plus à se confondre avec l’âge du bronze. Mais tout cela ne nous reporte pas à une antiquité aussi reculée qu’on le pourrait croire. Diverses considérations historiques et ethnographiques, que nous avons le regret de ne pouvoir exposer, nous permettent d’attribuer l’importation du fer aux Gaulois, qui envahirent nos contrées trois ou quatre siècles avant J.-C. L’industrie néolithique ou de la pierre polie, à laquelle s’associa de bonne heure celle du bronze, nous aurait été apportée par un autre rameau de la même race arienne ou indo-européenne, par les Celtes qui, suivant toute apparence, prirent possession de notre pays six ou dix siècles plus tôt, et s’y sont perpétués jusqu’à nos jours dans les régions les plus difficilement accessibles de l’ouest et du centre. Antérieurement, c’est-à-dire à partir du dixième ou du quatorzième siècle avant J.-C, nous serions en pleine époque paléolithique ou quaternaire, et des populations de ces temps reculés, populations étrangères cette fois à la race arienne, aujourd’hui dominante en Europe, il resterait encore des témoins : au nord, chez les Finnois ; au sud, chez les Basques, qui parlent une langue primitive et accusent une origine toute différente de la nôtre.

Combien de temps dura cette première civilisation ? Nous l’ignorons ; mais le maigre mobilier qu’elle nous a laissé ne nous oblige pas assurément à lui attribuer plus d’une dizaine de siècles. Cela nous conduit à 2000 ou 2500 ans avant J.-C, c’est-à-dire à une date contemporaine du moyen empire égyptien, et de beaucoup postérieure au déluge, à s’en tenir à la chronologie des Septante.

Les préhistoriens partisans des longues chronologies se récrieront contre ces chiffres. Nous les défions d’en établir la fausseté et d’en produire de plus vraisemblables.

Peut-être invoqueront-ils les prétendus chronomètres naturels, si déconsidérés qu’ils soient. Suivons-les un moment sur ce terrain. Les chronomètres en question consistent pour la plupart en des formations de diverses natures, — alluvions, dépôts tourbeux, stalagmites des cavernes, etc., — qui continuent de s’effectuer sous nos yeux, et dans lesquels on a trouvé à diverses hauteurs des produits de l’industrie humaine. Comme quelques-uns de ces produits sont datés soit par leur nature même, soit par leur association avec des pièces de monnaie, il semble qu’on puisse en déduire et la rapidité avec laquelle ces dépôts se sont formés, et, comme conséquence, l’âge des objets préhistoriques qu’ils contiennent. Citons-en un exemple qui a fait grand bruit dans le monde des préhistoriens, il y a quelques années. Le chemin de fer qui longe au nord le lac de Genève a coupé, tout près de Villeneuve, à une profondeur de 7 mètres, un cône formé par des galets et détritus de toute sorte, apportés par le torrent de la Tinière. Lors de l’exécution de cette tranchée, on a trouvé : à 1 m. 20 de profondeur, une pièce de monnaie qu’on a considérée comme romaine ; à 3 mètres, des objets de bronze, et à 5 m. 70, une poterie grossière, du charbon et un crâne humain. On s’est dit : Si la pièce de monnaie ne se trouve qu’à 1 m. 20 de profondeur, bien qu’elle ait 1500 ans d’existence, c’est que le dépôt s’est accru seulement de 8 centimètres par siècle. D’après cette donnée, les objets en bronze remontent à 3700 ans, et le dépôt archéologique inférieur, considéré comme néolithique, à 7500 ans environ. Pour que ce calcul fût exact, il faudrait que le cône de la Tinière se fût formé avec une régularité absolue, de la base au sommet, et aussi que la couche supérieure représentât réellement un espace de 1500 ans. Or ces deux conditions sont loin d’être remplies. D’abord, rien n’est plus irrégulier que le régime d’un torrent. Il y a tout lieu de croire que celui de la Tinière transporta au début des matériaux plus abondants, alors qu’il rencontrait des terres meubles ou des roches désagrégées, au lieu de la roche compacte à laquelle il a dû ensuite s’attaquer. En second lieu, c’est tout à fait arbitrairement qu’on admet que le dépôt supérieur s’est effectué en 1500 ans, même si l’on suppose que la pièce de monnaie date bien de l’époque romaine ; ce qui n’est pas prouvé. On a observé, en effet, que depuis l’an 1245 au moins l’endiguement du torrent a mis le cône à l’abri des inondations. C’est donc en huit siècles au plus que la courbe supérieure s’est formée : ce qui porte à 15 centimètres la part de chaque siècle, et réduit de moitié l’âge du prétendu gisement néolithique trouvé à la base du dépôt.

Des objections analogues peuvent être faites aux calculs qu’on a voulu baser sur d’autres phénomènes du même genre. Il est cependant un de ces chronomètres naturels qui nous paraît reposer sur des données à peu près inattaquables : c’est celui que M. Kerviler a signalé à Saint-Nazaire. Dans les alluvions qui occupaient l’emplacement du nouveau bassin à flot dont la création lui était confiée, cet ingénieur a trouvé à 6 mètres de profondeur une monnaie de Tétricus (268-275) associée à des fragments d’amphore, et au-dessous, de 8 m. 50 à 10m. 50, divers objets en bronze et en pierre, plus un crâne humain de forme dolichocéphale, et considéré comme caractéristique de l’âge néolithique ou de la pierre polie. Partagée entre les seize siècles qui nous séparent de Tétricus, la couche supérieure donne 35 à 37 centimètres par siècle. À ce compte, les objets préhistoriques situés à la base du gisement remonteraient à une époque comprise entre le quatrième et le dixième siècle avant J.-C. Il était à craindre, il est vrai, là comme ailleurs, que la formation des alluvions de Saint-Nazaire ne se fût pas effectuée régulièrement. Heureusement, une seconde découverte est venue confirmer la première, en permettant à M. Kerviler de contrôler ses calculs. L’habile et sagace ingénieur a constaté que les alluvions auxquelles il avait affaire étaient divisées en une infinité de petites couches de 3 à 4 millimètres d’épaisseur, qui représentent évidemment l’apport annuel de la rivière. Ces couches sont séparées les unes des autres par un mince feuillet d’humus, qui doit sans doute son origine aux feuilles et débris herbacés que l’automne apporte chaque année. De fait, cent de ces couches représentent 35 centimètres : ce qui a pour résultat de placer la monnaie de Tétricus à sa date véritable, et conséquemment de reporter le dépôt préhistorique inférieur à la date que lui avait primitivement assignée M. Kerviler.

On pense bien que ce résultat n’a pas été facilement admis par les partisans des longues chronologies. Il n’a cependant rien d’invraisemblable. Rien n’empêche qu’on