étaient aux hommes un gage certain que Dieu ne regardait pas la nature humaine comme étrangère à la sienne, depuis qu’il avait été résolu que le Fils de Dieu égal à son Père se ferait homme comme nous. Toutes ces apparitions préparaient et commençaient l’incarnation du Fils de Dieu, l’incarnation n'étant autre chose qu’une apparition de Dieu, I Tim., iii, 16, au milieu des hommes plus réelle et plus authentique que toutes les autres : pour accomplir ce qu’avait vu le saint prophète Baruch, iii, 37, 38, que Dieu même, après avoir enseigné la sagesse à Jacob et à ses enfants, avait été vu sur la terre et avait conversé parmi les hommes. » Cf. Vandenbrœck, qui s’applique à établir cette opinion dans sa Dissertatio theologica de theophaniis sub Veteri Testamento, Louvain, 1851, p. 58 -113.
Cependant saint Jérôme, saint Augustin et saint Grégoire pape s'étaient montrés favorables à un sentiment différent, celui qui attribue ces apparitions à des anges. Ce sentiment fut suivi par la plupart des théologiens et des exégètes scolastiques. Citons saint Bonaventure, saint Thomas, les théologiens de Salamanque, Sylvius, Estius, Suarez, Billuart, Perrone, Tostat, Cornélius a Lapide, Bonfrère, Calmet, Menochius. Suivant ces auteurs, ce sont des anges qui ont apparu aux hommes non seulement dans les cas où celui qui apparaît est appelé tantôt Dieu, tantôt ange, mais encore dans les apparitions où il n’est point parlé des anges, et où Dieu seul semble intervenir. Ils s’appuient principalement sur divers passages de l'Écriture où il est affirmé tantôt que personne n’a jamais vu Dieu, Joa., i, 18 ; Joa., iv, 12, tantôt que dans l’Ancien Testament Dieu s’est toujours servi du ministère des anges. Heb., i, 1 ; II, 2 ; Gal., iii, 19 ; Act., vii, 53. Voir en particulier saint Thomas, Quæst. disp. de Potentia, q. 6, art. 8, ad. 3 ; Suarez, De Angelis, VI, xx, édit. Vives, 1850, t. ii, p. 765 ; Cornélius a Lapide, In Exodum, cap. iii, édit. Vives, 1868, t. i, p. 451.
Une troisième manière d’expliquer les apparitions qui nous occupent consiste à dire que ce sont des anges qui ont apparu, mais que c’est Dieu qui parlait en eux. Elle a été admise par le franciscain Frassen. M. Vandenbrœck, De theophaniis sub Veteri Testamento, p. 59, l’attribue aussi à Wouters et aux Bénédictins qui ont édité saint Hilaire. Cette troisième opinion mérite à peine d'être signalée ; car elle est peu en harmonie avec les textes de l'Écriture, qui dit que les paroles sont prononcées par le personnage qui se montre dans les apparitions.
M. Vandenbrœck distingue une quatrième opinion, qu’il attribue à Witasse, et suivant laquelle Dieu aurait apparu médiatement et les anges immédiatement. Mais ce sentiment est celui de tous les scolastiques, qui attribuent ces apparitions aux anges ; car ils font tous observer que ces anges remplissaient une mission de Dieu et parlaient en son nom. C’est pourquoi, suivant eux, l'Écriture affirme tantôt que c’est un ange, tantôt que c’est Dieu qui parle et se manifeste.
Les anges ont apparu sous des formes diverses : sous forme de chérubins à corps d’animaux, à Ézéchiel et probablement à Adam, sous forme de nuée dans le désert, sous forme de voyageurs, de guerriers, de prêtres en habit de liii, parfois avec et le plus souvent sans ailes. On peut se demander s’ils ont pris pour ces apparitions des corps véritables. L’opinion commune est qu’ils se sont formés, ou que Dieu leur a formé des corps véritables pour les apparitions que la Bible présente comme réelles.
II en est autrement dans le cas où les anges apparaissent en songe, comme cela eut lieu pour la vision de Jacob, Gen., xxviii, 12, 13, et pour celles de saint Joseph, Matth., I, 20 ; II, 19.
XII. Développement de la doctrine des anges. — On peut considérer ce développement soit dans la Bible, soit dans la théologie catholique. L’angélologie de l'Écriture Sainte s’est précisée peu à peu ; mais on en trouve tous les éléments en germe dès les premiers récits bibliques.
Certaines couleurs de ces récits ont changé, certaines parties des croyances se sont développées, mais le fond est resté le même. La plupart des représentants de l’exégèse rationaliste se sont cependant persuadé que la croyance aux anges avait été notablement modifiée depuis Moïse jusqu'à Jésus-Christ. Voici quelle serait, suivant plusieurs d’entre eux, les étapes de ce développement. A l’origine les Hébreux auraient été polythéistes et auraient adoré les astres. Le monothéisme, qui prit racine en Israël, aurait rabaissé les anciens dieux à un rang secondaire et les aurait transformés en ces anges, serviteurs de Jéhovah, qui forment la milice céleste. Ce serait pour ce motif que le même personnage nous est présenté dans les premiers récits de la Bible, tantôt comme un envoyé de Dieu, tantôt comme Dieu lui-même. Les anges auraient gardé le caractère des dieux de l’Olympe dans Job, où ils forment le conseil de Dieu, Job, i, 6, et dans les passages nombreux où ils paraissent en guerriers. Gen., xxxii, 1-2 ; Jos., v, 14 ; I Keg., xxii, 19 ; II Reg., vi, 17, etc. Ensuite ils auraient pris de plus en plus le caractère de simples messagers. Leur spiritualité n’aurait pas été admise dans les premiers temps, mais seulement plus tard. Ainsi s’expliquerait qu’ils aient bu et mangé avec Abraham, Gen., xviii, 8, tandis qu’ils refusèrent de s’asseoir à la table de Manué, père de Samson, Jud., xiii, 16, et qu’ils déclarèrent à Tobie, Tob., xii, 19, que ce n'était qu’en apparence qu’ils prenaient la nourriture des hommes. Les Juifs auraient adopté pendant la captivité de Ninive et de Babylone diverses croyances des Chaldéens et des Perses, en particulier la distinction entre les bons et les mauvais anges, qui fait le fond du zoroastrisme. C’est aussi à cette source qu’ils auraient emprunté la division hiérarchique des anges, la notion des sept anges qui se tiennent devant le trône de Dieu et les noms de quelques-uns d’entre eux. Plusieurs autres conceptions contraires aux croyances primitives de l’hébraïsme se seraient introduites à partir de ce moment. « Dans l'âge patriarcal, dit M. Haag, Théologie biblique, Paris, 1870, p. 414, Dieu habitait au milieu des tentes de son peuple et protégeait directement la famille du patriarche. Pendant la période de l’hébraïsme (avant l’exil), la Bible nous montre le Dieu national des Israélites trônant entre les chérubins dans la tente-sanctuaire ( le tabernacle) et intervenant encore quelquefois dans les affaires de la nation. Depuis l’exil, retiré dans le ciel comme les rois d’Orient dans leur palais, d’où ils ne sortent que rarement pour se montrer à leurs sujets, nous le voyons continuant à gouverner le monde, non pas encore, il est vrai, par des lois physiques et morales établies de toute éternité et immuables comme lui (qu'était donc le Décalogue ?), mais par des ministres de sa volonté, par des anges, et à cet égard les Juifs vont si loin dès la fin de cette période, que déjà les Septante traduisent ʾeš dôṭ, Deut., xxxiii, 2, qui signifie feu de la loi, par ἄγγελοι, les anges, première trace d’une croyance que l’on trouve enseignée dans le Nouveau Testament, comme dans le Talmud. » (Notre Vulgate traduit ʾeš dôṭ par lex ignea ; mais comment M. Haag n’a-t-il point remarqué que, dans le même verset et le suivant, le texte original parle de qôdês, de « saints » qui accompagnent Dieu par milliers, et dans lesquels les rabbins voient les Docteurs qui ont composé le Talmud, pendant que les exégètes catholiques y voient les anges ?) « Cette croyance qui fait intervenir directement les anges dans la promulgation de la loi sur le Sinaï est aussi étrangère à l’hébraïsme que la doctrine des anges protecteurs, qui commence seulement à se produire dans les apocryphes de l’Ancien Testament. » Notre-Seigneur et ses Apôtres auraient accepté les idées courantes parmi les Juifs de leur temps. Voir Haag, Théologie biblique, §96, 108, 121 et 132, p. 338-347, 411415, 459-460 et 497-502.
Ces vues sont absolument exagérées, et par conséquent fausses. Sans doute la connaissance des anges, de leur caractère personnel et de leur nature s’est précisée de plus en plus. Il en est résulté que la part des anges