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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome I.djvu/701

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AUMONE


timent de la bienveillance et de la charité ; 2. de ne faire parvenir l’argent au pauvre que par une multitude d’intermédiaires, et ainsi de faire subir aux sommes qui lui sont destinées des déchets très considérables, comme on le voit, par exemple, aujourd’hui en Angleterre ; Taparelli, Essai de droit naturel, traduction française, Paris, 1883, t. i, p. 326 et suiv. ; t. ii, p. 305-396 ; les Israélites ont évité ce double écueil : ils remettaient directement leur aumône entre les mains du pauvre ; les aumônes n’étaient pas déterminées quant à la quantité, mais seulement quant à l’espèce et à un certain minimum ; la bienveillance des Juifs était plutôt dirigée que gênée, plutôt excitée que comprimée ; même pour le payement des dîmes, on s’en remettait à l’appréciation de chacun ; on exigeait seulement de lui qu’il déclarât devant Dieu qu’il avait consciencieusement payé ce qu’il croyait devoir sous ce rapport, et qu’il n’avait rien détourné en d’autres usages. Deut., xxvi, 13-14.

En terminant cette énumération des aumônes plus ou moins dues aux pauvres, signalons le privilège dont il est question Deut., xxiii, 24-25 : « Quand vous entrerez dans la vigne de votre prochain, vous pourrez manger des raisins autant que. vous voudrez ; mais vous n’en emporterez point avec vous ; si vous entrez dans la moisson de votre prochain, vous pourrez cueillir des épis et les frotter dans la main, pour les manger ; mais vous n’en pourrez couper avec une faucille. » Cf. Matlh., xii, 1. Quoique général, ce privilège évidemment profitait surtout aux pauvres, auxquels il pouvait offrir une précieuse ressource. Cf. Menochius, De republica Hebrseorum, Paris, 1648, p. 472 ; Michælis, Mosaisches Recht, § 161, t. iii, p. 122-127.

2° À umones imdêtebminêes. — 1. Leur nom. — L’aumône dont il s’agit ici est appelée par les commentateurs juifs sedâqàh, dont le sens original est « justice », du verbe hébreu sâdaq, « être juste. » Tous les rabbins sont unanimes à donner ce nom à l’aumône ; on peut le constater dans Buxtorf, Lexicon chaldaicum, talmudicum, Bàle, 1642, p. 1891. Elle est ainsi appelée par une dérivation naturelle du sens primitif de la racine. Ce nom de « justice » est aussi donné à l’aumône par la Sainte Écriture. Quelques auteurs protestants l’ont nié : par exemple, Prideaux, dans ses notes sur Maimonide, De jure pauperis, c. x, not. 3, p. 106 ; Carpzov, dans une dissertation spéciale, De eleemosynis Judseorwm, insérée dans son Apparatus, p. 728-742, On devine la raison qui a engagé ces auteurs dans cette interprétation : c’est leur opinion dogmatique sur les bonnes œuvres (parmi lesquelles se trouve spécialement l’aumône), dont ils rejettent la nécessité pour la justice et le salut ; or ce nom de « justice » donné à l’aumône par l’Esprit-Saint leur a paru peu conforme à leur opinion. Quoi qu’il en soit de cette raison, il parait incontestable que le mot sedâqâh signifie quelquefois « aumône », même dans la Sainte Écriture. Dan., iv, 24 {sidqâh. Cf. Gesenius, Thésaurus, p. 1151).

2. Obligation de ces aumônes. — Le précepte en est porté clairement Deut., xv, 11 : « Les pauvres ne manqueront jamais parmi vous ; voilà pourquoi je vous commande d’ouvrir vos mains à votre frère pauvre et dénué, qui demeure avec vous dans votre pays. » Cf. Deut., xv, 7-8 ; Lev., xxv, 35. Les rabbins ont entendu rigoureusement ce précepte ; Maimonide enseigne « que les Juifs sont obligés d’être plus soigneux dans l’observation de ce précepte que dans celle de tous les autres préceptes affirmatifs, parce que l’aumône est le caractère distinctif des vrais enfants d’Abraham ». De jure pauperis, c. vii, §§1, 2, p. 70 ; c. x, § 1, p. 99. Ils ont entendu l’obligation de tous les pauvres, non seulement Juifs, mais même Gentils ; ils ont même ajouté à la loi une sanction, consistant dans une flagellation infligée au Juif avare qui refuserait de donner aux pauvres. Ibid., c. vii, § 10, p. 73. Bloch, La foi d’Israël, Paris, 1859, p. 329-338, donne un recueil intéressant des principaux passages de la Mischna et de la Ghemara qui regardent l’aumône.

3. Collecteurs d’aumônes. — Pendant de longs siècles, les Juifs donnèrent eux-mêmes leurs aumônes ; mais, lors de la captivité de Babylone ou immédiatement après, soit à cause du plus grand nombre de pauvres, soit à cause du refroidissement des Juifs dans leurs libéralités, les aumônes ne furent plus suffisantes ; alors on établit des collecteurs ou quêteurs qui, par leur demande ou même leur seule présence, pussent stimuler la charité de leurs compatriotes. Telle est, chez les Juifs, l’origine des « collecteurs d’aumônes », d’après Vitringa, De synagoga veteri, Franeker, 1696, lib. iii, part, i, c. 13, p. 8Il et suiv. ; Carpzov, De eleemosynis Judseorum, p. 745. Cette opinion sur l’origine relativement récente de ces quêteurs est confirmée par le nom de gabbâ’ï sidqâh, « collecteurs d’aumônes, » qui leur fut donné ; ce mot, étant araméen, suppose une époque postérieure à la captivité. Or il y avait des quêtes de deux espèces ; les unes se faisaient toutes les veilles des sabbats au soir ; les offrandes se recueillaient dans une petite boîte ou cassette, appelée qufâh : c’était l’aumône « de la cassette » ; on recueillait surtout de la monnaie, et on la distribuait ensuite aux pauvres, de manière que, jointe aux autres secours, elle pût suffire pour la semaine ; les autres quêtes se faisaient chaque jour, de maison en maison ; on recueillait sur un plat, tamhûï, les morceaux de pain ou de viande, les fruits ou autres aliments, et même de l’argent : c’était l’aumône « du plat ». Suivant l’opinion qui paraît la mieux appuyée, les collecteurs étaient, non pas des fonctionnaires publics, mais de simples particuliers qui acceptaient librement ces fonctions charitables ; du reste l’autorité suprême sur ces aumônes résidait, non dans la synagogue, mais dans le sanhédrin local, qui toutefois agissait de concert avec le Chef de la synagogue. Vitringa, De synagoga veteri, Franeker, in-4°, 1696, p. 814 ; Carpzov, De eleemosynis Judseorwm, p. 746. D’après ces auteurs, fondés sur le témoignage du Talmud et des rabbins, les destinataires des deux espèces de quêtes étaient différents ; les aumônes « de la cassette » étaient destinées aux pauvres domiciliés dans la localité ; celles « du plat » étaient pour tous les autres pauvres de passage dans la ville, quels qu’ils fussent, Juifs, prosélytes de justice ou de la porte, ou même païens. Vitringa ajoute que, depuis l’époque de la dispersion des Juifs, on prélevait sur les aumônes « de la cassette » une certaine part, qui était envoyée à Jérusalem pour les pauvres’de la Palestine. Le rabbin Léon de Modène, Cérémonies et coutumes des Juifs, Paris, 1681, p. 45, dit que cela se faisait encore de son temps, c’est-à-dire au xvil" siècle. La « cassette » en usage dans ces quêtes était mobile et portée à la main par les collecteurs à travers les rues de la localité ; elle différait donc essentiellement de ces troncs (xopgavSç) que l’Évangile, Matth.^ xxvii, 6, nous signale dans le temple de Jérusalem ; la destination n’était pas non plus la même : l’argent jeté dans les troncs était généralement destiné, non pas aux pauvres, mais aux différents services du temple.

4. Manière de faire l’aumône. — Il faut la faire en secret ; c’est une des recommandations les plus pressantes des rabbins. D’après Maimonide, De jure pauperis, c. x, § 8, p. 102, un des degrés les plus parfaits de l’aumône consiste en ce que celle-ci est tellement cachée, que le bienfaiteur ne sait où elle va ni le pauvre d’où elle vient. Le Talmud va plus loin ; le rabbin Jannai, ayant vu un Juif faire l’aumône publiquement, lui dit : « Il vaut mieux ne pas faire l’aumône que de la faire ainsi ; » un autre rabbin disait : « Celui qui fait l’aumône en secret est plus, grand que Moïse lui-même, notre maître. » Le Talmud de Babylone, traités Biagîgâh et Baba’Bafrâ’, dans. Lightfoot, Horee hebraicse, Leipzig, 1675, in Matth., vi, 1, 2, p. 289, 292. Cf. Schœttingen, Horse hebraicse, , Leipzig, 1733, in Matth., vi, 1, p. 50 et suiv. Ce n’est là, on le voit, qu’un faible essai à Côté de l’énergique parole de Jésus-Christ dans l’Évangile : « Quand vous faites l’aumône, n’allez pas sonner de la trompette devant vous, .