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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome II.djvu/103

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CANTIQUE DES CANTIQUES


lieux sont nommés comme faisant partie d’un même royaume ; il n’en fut plus ainsi après Salomon, et même Thersa devint la capitale de Jéroboam, dans le royaume du nord. Venant après le schisme, l’auteur eût exclusivement emprunté ses comparaisons au royaume du midi ou à celui du nord, suivant ses attaches politiques. — 2. Le bien-aimé est comparé à un coursier de la cavalerie du pharaon, Cant., i, 8, comparaison qui trahit l’époque où Salomon s’éprit si vivement de la cavalerie égyptienne. III Reg., x, 28. — 3. L’écrivain fait preuve de connaissances étendues en histoire naturelle. Dans les cent seize versets de son poème, il nomme une vingtaine de plantes et autant d’animaux. Or Salomon fut remarquable dans cet ordre de connaissances. III Reg., IV, 33.

— 4. Enfin l’auteur décrit avec tant de vivacité et de précision les choses de l’époque salomonienne, qu’on pourrait difficilement admettre qu’il n’en soit pas le contemporain. Après Ewald, de Wette le reconnaît lui-même : « Il y a là une série d’images et d’allusions, une fraîcheur de vie qui caractérisent le temps de Salomon. » Einleilung, 7e édit., p. 372. Frz. Delitzsch appuie la même conclusion : « Le Cantique porte en lui-même les traces manifestes de sa composition salomonienne. C’est ce qui ressort de la richesse des images empruntées à la nature, de l’abondance et de l’étendue des références géographiques et artistiques, de la mention d’un si grand nombre de plantes exotiques et de choses étrangères, et particulièrement des objets de luxe, comme tout d’abord du cheval d’Egypte. Il a de commun avec le Psaume lxxi (hébreu, lxxii) la fréquence des images empruntées à la flore, avec Job l’allure dramatique, avec les Proverbes beaucoup d’allusions à la Genèse. S’il n’était pas l’œuvre de Salomon, il devrait au moins appartenir à une époque très voisine de son temps. » llohes Lied, in-8°, Leipzig, 1875, p. 12. — On ne saurait objecter qu’un écrivain postérieur a fort bien pu revêtir, par un artifice de style, le personnage de Salomon, comme le fit plus tard l’auteur de la Sagesse. La pseudépigraphie se reconnaît au premier coup d’oeil dans la manière dont ce dernier raisonne et écrit. L’auteur du Cantique s’exprime, au contraire, du commencement à la fin de son œuvre, comme pouvait seul le faire un contemporain de Salomon. Or cet écrivain prend le titre de roi. Il en faut donc conclure qu’il n’est autre que Salomon lui-même, le roi à la fois magnifique et pacifique, auquel conviennent si exactement les descriptions du livre. Cette conclusion a toujours été adoptée sans hésitation par la tradition juive et ensuite par la tradition chrétienne. Saint Ambroise, Comm. in Cant., a Guillelmo collectus, i, 1, t. xv, col. 1853, ; saint Jérôme, Ep. un, ad Paul., t. xxii, col. 547 ; Théodoret, In Cant., Prasf., t. lxxxi, col. 30 ; saint Grégoire de Nysse, In Cant., i, 1, t. xliv, col. 765, ne font qu’exprimer la croyance de tous en attribuant le livre à Salomon.

2° C’est seulement depuis le siècle dernier que les rationalistes ont commencé à contredire la tradition sur ce point — 1. Rosenmùller, Scholia in Ecclesiasten et Canlicum, Leipzig, 1830, p. 238 ; Eichhorn, Einleit. in das Alt. Test., part, v, Gœttingue, 1823-1824, p. 219 ; Munk, Palestine, p. 450, etc., reculent la composition du livre jusqu’à la captivité, ou au moins jusqu’aux derniers rois de Juda, à raison des aramaïsmes que contient l’ouvrage. On en cite six : berot, Cant., i, 17 ; kifês, ii, 8 ; hôtel, il, 9 ; sefdv, ii, 11 ; tinêf, v, 3, et lâki pour làk, ii, 13.

— Rien de plus fragile que la preuve tirée des aramaïsmes. On peut toujours répondre : Tel mot est-il sûrement un aramaïsme ? est-il certain que tel aramaïsme ne se soit introduit dans la langue hébraïque qu’à telle époque ? Israël eut assez de relations avec ses voisins, particulièrement sous David et Salomon, pour que l’emprunt de certains mots étrangers soit très naturellement explicable, surtout dans les compositions poétiques, où l’on recherchait tous les éléments favorables à la variété. — 2. On cite encore d’autres expressions qu’on ne devrait pas trouver

sous la plume de Salomon, comme pardês, Cant., iv, 13, identique au zend pâiridaêza, « jardin fermé, » et’appiryôn, Cant., iii, 9, même mot que l’indien paryang, devenu en grec çopsîov, « litière. » — Il suffit de remarquer que, par ses rapports commerciaux avec les peuples qui l’entouraient, Salomon arriva à connaître certains de leurs usages et put avoir le désir de les introduire dans son royaume. Qu’y a-t-il d’extraordinaire dès lors à ce que, se faisant un jardin fermé comme ceux. d’Assyrie, et se procurant une litière comme celles de l’Inde, il ait conservé aux choses le nom qu’elles portaient dans leur pays d’origine ? — 3. On a prétendu trouver dans le Cantique des allusions formelles à des usages grecs, ce qui reporterait la composition du livre au me siècle avant J.-C. On signale, à titre d’importations helléniques, les litières, Cant., iii, 9 ; l’usage de se coucher pour se mettre à table, i, 12 (Vulgate, 11) ; la couronne de l’époux, iii, 11 ; les 3, 5 ; gardes de la cité, v, 7 ; les pommes aphrodisiaques, ii, vin, 5 ; les flèches d’Éros, viii, 6, etc. — Mais ces flèches et ces pommes n’ont nullement dans le texte les qualificatifs qu’on leur prête à plaisir. — Les Grecs n’étaient pas seuls à employer des gardes pour veiller sur les cités, Is., lxii, 6 ; Ps. cxxvi, 1, ni à connaître l’usage des couronnes. Ps. en, 4 ; Is., xxviii, 1. — Le texte i, 12, parle de mêsab, sorte de divan circulaire, dont l’origine est orientale bien plutôt que grecque. — Quant à la litière, ’appinjôn, quelle que soit sa forme, c’est d’Orient, non d’Occident, qu’elle est venue à Jérusalem. Cf. Frz. Delitzsch, llohes Lied, p. 59. — 4. Le Cantique a dû être composé postérieurement à Salomon et par un écrivain appartenant au royaume du nord, comme le donnent à penser les locutions particulières à ce pays, la connaissance détaillée que l’auteur paraît avoir de la Palestine septentrionale, et la mention de Thersa, capitale du royaume séparé. — La supposition d’une différence de langage entre le royaume du nord et celui du sud est purement arbitraire, et eùt-elle existé que nous n’aurions aucun moyen de la constater. — L’auteur parle, il est vrai, des villes et des sites du nord, remarquables par leur beauté, le Liban, le Carmel, Damas, Thersa, etc. ; mais il mentionne également des localités appartenant à l’autre partie de la Palestine, Jérusalem, Hésébon, Engaddi, Galaad, etc. Le texte hébreu se traduit, au % 4 du chap. vi : « Tu es belle, mon amie, comme Thersa, splendide comme Jérusalem. » Thersa n’est donc nommée ici que comme type de beauté, sans la moindre allusion à son rôle politique sous Jéroboam. Dira-t-on que le site de Thersa n’était pas déjà remarquable du temps de Salomon ? — 5. Le titre présente une double anomalie qui lui ôterait toute valeur. Le relatif y a la forme pleine’âSér, tandis que la forme apocopée est seule usitée dans le livre ; de plus, c’est d’un simple lamed, et non de la locution’âsér le, que les noms d’auteurs sont habituellement précédés en hébreu. — Le titre n’a rien de poétique ; il n’est donc pas étonnant que le relatif y conserve sa forme prosaïque, tandis qu’une forme plus brève et plus élégante est employée dans le texte. La locution’aSér le se retrouve dans le livre même sous la forme êélli, Cant., i, 6 ; iii, 7 ; viii, 12, ce qui tendrait plutôt à prouver que le titre est contemporain du poème. — 6. Enfin on trouve malséant que Salomon parle de son épouse, la fille du roi d’Egypte, comme d’une simple fille des champs. — Cette raison n’aurait de valeur que si l’on était obligé d’interpréter le Cantique dans le sens littéral non allégorique, mais nous allons voir qu’il en est tout autrement.

3’On n’est pas d’accord pour déterminer à quelle époque de sa vie Salomon a pu composer le livre. Cornely, Introduct. in libr. sacr., Paris, 1887, t. ii, p. 198, incline à penser que le Cantique est l’œuvre de la jeunesse du monarque ; la vivacité et la couleur du style y trahissent le jeune homme, et la nature du sujet traité semblerait peu convenir à un homme tel qu’était devenu Salomon à la suite de ses désordres. Calmet, Préface sur