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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome II.djvu/424

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COCHENILLE


Voir Manne. Enfin le coccus ilicis (fig. 303), le seul dont parle la Bible, vit sur un chêne, le quercus coccifera, très commun en Syrie. La femelle de cette cochenille est d’une couleur rouge sombre ; elle a à peu près la grosseur d’un noyau de cerise, mais se recoquille quand on la dessèche et se réduit au volume d’un grain de froment.

2° La cochenille dans l’antiquité. — Le coccus ilicis a été connu dès les temps les plus reculés. Il est appelé en sanscrit kirmi ou karmi, en arabe kermès, en arménien karmir, en persan qirmiz, nom qui est passé en hébreu sous la forme karmil, qu’on ne trouve qu’au second livre des Paralipomènes, et qui a donné carmesinum en bas - latin, « carmin » et « cramoisi » en français. Au (ôlâ’hébreu, qui parfois ne désigne que le « ver » en général, correspond, au contraire, le vermiculus de la Vulgate, d’où nous sont venus « vermeil » et « vermillon ». Les anciens tiraient de la cochenille une couleur rouge assez vive. Isaïe, lxiii, 1, semble faire allusion à cette couleur et l’appelle hâmûs, « aiguë, » de même que les Grecs la nommèrent y_pûioi J5 - J. Josèphe, Ant.jud., III, vii, 8, dans son explication symbolique des couleurs, dit qu’elle représentait le feu. Pline, H. N., xxi, 22, lui attribue l’éclat de la rose. Le kermès des anciens n’était ni le carmin, découvert seulement au moyen âge, quand on apprit à traiter la cochenille par l’alun, ni l’écarlate proprement dite, d’une préparation assez compliquée. Cf. Rosenmûller, Scholia in Exodum, Leipzig, 1783, p. 576. C’était un cramoisi tirant légèrement sur le violet, d’une teinte moins vive et moins belle, mais plus solide que celle du coccus cacti. On l’emploie encore, même dans nos ateliers, pour la teinture des coiffures rouges si estimées des Arabes et des Turcs. Guinet, .ies couleurs, Paris, 1889, p. 141, 142. Le coccus ilicis a dû être autrefois très commun en Palestine, où il abonde encore aujourd’hui. Les Hébreux le connaissaient dès l’époque patriarcale, Gen., xxxviii, 27, et ils continuèrent à se servir en Egypte d’étoffes « cramoisies », que les Bédouins du désert leur apportaient de Syrie ou d’Arabie, ou pour la préparation desquelles ils leur fournissaient le kermès. Cf. Ebers, Aeqypten und die Bûcher Moses, Leipzig, 1868, t. i, p. 292. Mais c’étaient surtout les Phéniciens qui préparaient en grand les tissus cramoisis destinés à l’exportation. Aussi appelaiton cette couleur « phénicienne » aussi bien que la pourpre. Bâhr, Symbolik des mosaischen Quitus, Heidelberg, 1839, t. i, p. 309-310. Les Hébreux employèrent les étoffes cramoisies en assez grande quantité pour la décoration du Tabernacle et du sanctuaire, pendant leur voyage au désert. La Bible appelle ces étoffes du nom même de la teinture, fôla’at Sdnî, ou simplement de l’un ou l’autre de ces deux noms. Dans plusieurs passages de l’Exode, les anciennes versions traduisent ces mots comme si sâni venait de sânâh, qui veut dire « redoubler », Septante : xôxxivov SmXoûv, « cramoisi double, » Exod., xxxv, 6 ; Aquila, ôi’Saçov, « deux fois teint ; » Vulgate : coccus bis tinctus, Exod., xxvi, 1, 31. Aucun auteur ancien ne parle de cette double teinture au kermès. Pline, H. N., ix, 65, ne mentionne la teinture de kermès que superposée à celle de pourpre. D’ailleurs les versions ne traduisent pas toujours tôla’at sâni de la même manière. Les Septante remplacent fréquemment 8171X0ÙV par x ; xXto<T|jivov, « filé, » vev/]<r(ji£vov et ôtavevïja-jjivov, qui ont le même. sens. Aquila traduit par êtobopov, qui peut signifier soit « différent », probablement dans le sens de « double », soit aussi « excellent ». Enfin la Vulgate met très souvent vermiculus, Exod., xxxv, 25, 37, etc., à la place de coccus bis tinctus. Cf. S. Jérôme, Ep. lxiv, ad Fabiolam, 18, t. xxii, col. 617. Le mot sâni doit être rattaché à une autre racine, Sânâh, qui signifie « resplendir » en hébreu comme en arabe. L’araméen zïhôr, « cramoisi, » vient de même sorte de zâhar, « resplendir. » Le sâni est par conséquent la couleur brillante par excellence et la plus anciennement

employée dans la teinture, le rouge cramoisi. Le sens de Siêaço ; est maintenu à sâni par Bochart, Hierozoicon, Leipzig, 1796, t. iii, p. 525-527. Mais Gesenius, Thésaurus, p. 1452 ; Rosenmûller, Scholia, Iesaias, Leipzig, 1810, t. 1, p. 45, etc., défendent l’autre sens avec raison. La substitution de karmil, dans les Paralipomènes, à sâni du Lévitique rend ce second sens indubitable.

II. Les usages de la cochenille dans la Bible. — 1° Les rubans cramoisis. À la naissance des deux fils jumeaux de Thamar, on attache un ruban de cette couleur à la main de l’ainé pour le reconnaître, Gen., xxxviii, 27, 30. C’est à un ruban semblable, fixé à la fenêtre de Bahab, que les Hébreux reconnaissent la maison qu’ils doivent épargner à Jéricho. Jos., ii, 18, 21. Dans le Cantique, îv, 3, les lèvres de l’épouse sont comparées à un ruban de sâni. — 2° Les tentures cramoisies. On en fit grand usage dans l’aménagement du sanctuaire portatif de Moïse. On en reçut en prémices, Exod., xxxv, 6, 23, 25, 35 ; II Par., 11, 7, 14 ; on s’en servit ensuite pour confectionner les rideaux du sanctuaire et du Tabernacle, Exod., xxv, 4 ; xxvi, 1, 31, 35 ; xxvii, 16 ; xxxvi, 8, 35, 37 ; xxxvin, 18, 23 ; II Par., iii, 14, et _pour faire un tapis destiné à recouvrir la table des pains de proposition. Num., iv, 8. À Rome, on eut plus tard des tapis de luxe de cette même couleur. Horace, Satir., II, vi, 102. — 3° Les vêtements cramoisis. Les étoffes de cette couleur entraient dans la composition des vêtements du grand prêtre. Exod., xxviii, 5, 6, 8, 15, 33 ; xxxix, 1, 2, 8, 22, 28. Les vêtements cramoisis étaient réputés luxueux et solides. Jer., iv, 30 ; Apoc, xviii, 12, 16. Cf. Martial, Epigramtn., II, xxxix, 1 ; III, ii, 11 ; Suétone, Domit., 4. Saül en donnait de semblables aux filles d’Israël. II Reg., 1, 24. À l’époque de la captivité, les riches « qui étaient portés sur la tôlâ’ont embrassé le fumier », ils sont passés de l’opulence à l’extrême détresse. Lam., iv, 5. Dans l’éloge de la femme forte, il est dit qu’  « elle ne craint pas pour sa maison au temps de la neige, parce que toute sa famille est vêtue de sânîm ». Prov., xxxi, 21. Le mot sânîm est un pluriel de sâni qui se retrouve dans lsaïe, 1, 18. Le chaldéen, le syriaque et la version grecque Veneta traduisent ici par « vêtements rouges ». Le grec de la version d’Alexandrie et la Vulgate traduisent comme s’ils lisaient en hébreu senayim, « doubles » vêtements. Cette seconde leçon peut ici se défendre ; mais rien n’oblige à abandonner la première. Les vêtements cramoisis protégeaient contre le froid par leur épaisseur. Peut-être même avait-on déjà remarqué que le rouge absorbe les rayons caloriques et s’oppose à la déperdition de la chaleur animale. Cette couleur convenait par conséquent pendant l’hiver, tandis que le blanc, qui renvoie les rayons du soleil, vaut mieux en été. Aujourd’hui encore les Arabes portent des burnous qui sont blancs d’un côté et rouges de l’autre. Dans ce texte des Proverbes, les Septante se contentent de traduire l’hébreu par IvSsSuijiévot, « bien vêtus. » — 4° Les vêtements militaires. Dès les plus anciens temps, la couleur rouge fut employée dans l’habillement des soldats. Cf. Jud. viii, 26 ; Elien, Hist. var., vi, 6 ; Pollux, 1, 13 ; Valère Maxime, ii, 6. Dans Isaïe, lxiii, 2, le Messie qui combat contre ses ennemis porte un vêtement rouge. Les soldats qui marchent contre Ninive sont vêtus de (ôlâ’. Nah., 11, 4. Les soldats romains portaient une chlamyde ou paludamentum en étoffe cramoisie, teinte au kermès. Pline, H. N., xxii, 3. Ce fut une chlamyde de cette couleur, -/>.a(i-jSa xoxxwviv, que les soldats du prétoire mirent sur les épaules de Notre-Seigneur pendant sa passion. Matth., xxvii, 28. Voir Chlamyde. Deux évangélistes, il est vrai, disent que le manteau dont on se servit en cette circonstance était de pourpre. Marc, xv, 17 ; Joa., xix, 2. On a cherché à concilier les différents textes en disant que le manteau en question pouvait être ôiSxqo ; , et avoir reçu la double teinture pourpre et cramoisie dont parle Pline, H. N., ix, 65. Il est plus simple de penser avec saint Augustin, De con-