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CROCODILE


qui n’existe que dans les fleuves et les marais de l’Amérique, surtout au Mexique. Tous ces animaux vivent dans les eaux douces des contrées les plus chaudes. Le crocodile vulgaire des grands fleuves africains est le plus grand et le plus vorace. On le chasse de différentes manières. Les nègres se servent pour cela d’un fusil ou d’une javeline dentelée et visent à l’attache des pattes de devant. D’autres l’attaquent de près à coups de lance dans les yeux ou dans le gosier. Certains Égyptiens ont l’audace de nager jusque sous lui et de lui percer le ventre d’un coup de poignard. Le plus souvent, on ménage sur son sentier habituel des fosses couvertes de branchages dans lesquelles il tombe quand on le poursuit, ou bien on le prend à l’aide d’un gros crochet attaché à une corde solide et dissimulé par un agneau servant d’appât.

II. Les crocodiles en Egypte et en Palestine. — 1° En Egypte. — Les crocodiles, originaires de l’Afrique équatoriale, peuplaient autrefois tout le cours du Nil. Les Egyptiens appelaient habituellement ce reptile emsehu ou emséh, d’où sont venus l’arabe timsah, le copte emsah et le grec yâ-V-fyi, Hérodote, ii, 69. Ils lui donnaient aussi parfois le nom significatif de kap, qui veut dire « ravisseur ». Brugsch, Hieroglyphisch-demotisches Wbrterbuch, Leipzig, t. ii, p. 718 ; t. vil, p. 1275. Pline, H. N., vin, 148, dit que les chiens eux-mêmes ne buvaient au Nil qu’en courant, pour ne pas être saisis. Dans certains cantons égyptiens, les crocodiles étaient adorés et protégés ; dans d’autres on les exécrait et on les poursuivait. Jusqu'à l'époque romaine, les querelles héréditaires persistèrent entre les gens de Denderah, qui faisaient la chasse à cet animal, et ceux d’Ombi, ou Pampanis, au nord de Thèbes, qui lui rendaient un culte. Cf. Juvénal, Satir. xv ; Elien, Nat. animal., x, 24. Le crocodile, ainsi que l’hippopotame et le porc sauvage, avait pris parti pour le dieu malfaisant SltTyphon ; aussi le représentait-on percé par la lance de Har-Houdîti. Ed. Naville, Textes relatifs au mythe d’Horus, in-f°, Genève, 1870, pi. xv. Horus apparaissait debout sur deux crocodiles tournant complètement la tête, contrairement à leur conformation naturelle, pour montrer qu’il maîtrisait ces animaux et préservait de leur attaque. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient, Paris, 1895, t. i, p. 215 ; Pierret, Dictionnaire d’archéologie égyptienne, Pairis, 1815, p. 131. Dans l’Hymne au Nil, Papyrus Sallier, II, vii, Sovkou le crocodile, l’enfant de la déesse Nît, est dans l’allégresse quand le fleuve se remplit. Le pêcheur se réjouissait moins de la présence du terrible animal. Dans une sorte de complainte écrite sous la XIIe dynastie sur les misères des diverses professions, il est dit du pécheur : « Je te dis comme le preneur de poissons peine plus que tout métier, qui ne travaille pas sur le fleuve. Il est mêlé aux crocodiles. Lorsque les touffes de papyrus manquent, alors qu’il crie au secours, si on ne lui dit point : Le crocodile est là, la terreur l’aveugle. » Maspero, Du genre épistolaire chez les anciens Égyptiens, in-8°, 1872, p. 65. La terreur instinctive que leur inspirait cet animal porta les habitants du Fayoum à le vénérer comme le dieu suprême. Par la suite, on fit de Sovkou, le crocodile amphibie, le symbole du dieu souverain qui sort des eaux pour ordonner le monde. On en nourrissait de vivants près du temple du dieu Sobkou ou Sovkou, à Schodit. C’est au bord d’un lac voisin que l’on gorgeait ces animaux de nourriture et de friandises. On allait même jusqu'à leur pendre aux oreilles des anneaux d’or et à leur river des bracelets aux pattes de devant. Diodore de Sicile, i, 84 ; Hérodote, ii, 69 ; Maspero, Histoire ancienne, p. 104, 511, 512. Des hypogées étaient destinés à recevoir les momies de ces étranges divinités. Fi. Ménard, Vie privée des anciens, Paris, 1880, t. i, p. 101 ; A. Georges, Excursion aux grottes de Samoun ou des crocodiles, dans le Tour du monde, 1862, 1 er semestre, p. 160-173. Pendant leur séjour en Egypte, les Hébreux durent être parfois témoins du culte rendu à

ces reptiles. Plus tard, la présence de cet animal dans le Nil, et peut-être aussi la vénération dont ils le savaient l’objet, devinrent tellement caractéristiques à leurs yeux, qu’ils employèrent le même mot rahab pour désigner le crocodile et l’Egypte elle-même. Du reste, pour les anciens, cet animal symbolisait si naturellement l’Egypte, que, quand la ville de Nîmes reçut dans son sein une colonie de soldats égyptiens, probablement après la bataille d’Actium, elle fixa sur ses médailles le souvenir de cet événement en y représentant un crocodile attaché à un rameau de palmier (fig. 407). C. Jullian, Gallia, Paris, 1892, p. 74. — Les crocodiles, qui

407. — Monnaie de Kîmes. IMP. DITI P. Têtes adossées d’Auguste et d’Agrippa ; la première laurée, la seconde portant la couronne rostrale. — b). cor, . NEM. Crocodile attaché à un palmier orné d’une couronne et de-bandelettes.

infestaient autrefois tout le cours du Nil, n’apparaissaient plus que rarement dans le voisinage du Caire au commencement de ce siècle. Depuis lors ils ont été de plus en plus refoulés vers le sud, par la poursuite des chasseurs et l’agitation des bateaux à vapeur. Aujourd’hui ils sont nombreux en Nubie, mais ne dépassent pas la première cataracte, sauf quelques individus qu’entraîne le courant et qui ne tardent pas à être tués. Maspero, Histoire ancienne, p. 34. À peu près au milieu de son parcours, le canal maritime de Suez traverse le petit lac de Timsah ou du « crocodile ». Ce lac d’eau douce était alimenté autrefois par des canaux venant du Nil, et avait probablement reçu du fleuve sa colonie de crocodiles. Les anciens Hébreux connurent certainement ce lac, situé à la frontière orientale de la terre de Gessen.

2° En Palestine. — Les anciens parlent d’une ville de Palestine nommée Crocodilon, située sur le rivage méditerranéen, entre le Carmel et la Tour de Straton ou Césarée. Pline, H. N., V, xvii, 1 ; Strabon, XVI, ii, 27. À cinq kilomètres au nord de cette localité se jette dans la mer le Nahr ez-Zerka, la rivière des crocodiles des anciens. Reland, Palœstina illustrata, Utreeht, 1714, p. 270, 730, ne croyait pas à l’existence de crocodiles en cet endroitLa présence de ces animaux près de l’embouchure de la rivière est aujourd’hui incontestable (Palestine Exploration Fund, Quarterly Statement, 1887, p. 79-80 ; 1888, p. 166), et le nom de Crocodilon donné par les anciens à la localité prouve qu’il en était de même autrefois. Il existe là des marais d’eau douce appelés Moyet etTimsah, « eau du crocodile, » dont la superficie ne dépasse pas cinq ou six hectares. Des crocodiles y vivent, et les Arabes du voisinage les connaissent bien, mais attestent qu’il est fort difficile de les prendre. En 1887, des colons allemands de Caïpha ont réussi à tuer une femelle. Socin, Palàstina und Syrien, Leipzig, 1891, p. 239. Le D r Lortet, La Syrie d’aujourd’hui, Paris, 1884, p. 174, n’en a pas vu de vivant ; mais il a pu étudier à Caïpha un individu desséché, et cet examen lui a montré que « le crocodile de Syrie est d"une autre espèce que celui d’Egypte ». Enfin Tristram, Fauna and Flora of Palestine, Londres, 1884, p. 155, en a vu un qui mesurait 3 ra 50 de longueur, dont m 50 pour la tête. Les crocodiles ont dû exister dans le Nahr ez-Zerka