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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome II.djvu/707

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DÉLUGE


par importation. Les populations américaines la connaissent, mais on ne peut dire avec certitude si leurs traditions sont originales ou si elles sont d’importation asiatique ou européenne. Au nombre des légendes pseudodiluviennes, on peut ranger les déluges d’Ogygès et de Deucalion, la grande inondation placée par les livres historiques de la Chine sous le règne de Yao, et la légende de Botchica, chez les Muyscas de l’Amérique méridionale. Fr. Lenormant, Histoire ancienne de l’Orient jusqu’aux guerres médiques, 9e édit., Paris, 1881, t. i, p. 55-91 ; Les origines de l’histoire, 2e édit., Paris, 1880, t. i, p. 382-491. — 3. D’autres critiques enfin tirent plus rigoureusement encore les conclusions de l’étude critique des traditions diluviennes, et aboutissent à ne plus reconnaître pour réellement diluvienne et aborigène que la tradition chaldéenne. Elle a été importée de la Mésopotamie, son pays d’origine, dans les contrées voisines ; elle a fait souche et a porté les branches hébraïque, phénicienne, syrienne, arabe, phrygienne et arménienne. Les traditions antéroasiatiques sont seules réellement diluviennes ; toutes les autres sont pseudo-diluviennes. L. Diestel, Die Sintflut und die Flutsagen des Altertliums, Berlin, 1876, p. 17-20 ; A. Dillmann, Genesis, 6e édit., 1802, p. 132 ; Fr ?. Delitzsch, Neuer Commentar ûber die Genesis, 1887, p. 159 ; R. Andrée, Die Fluthsagen, in-12, Brunswick, 1891, p. 1 ; R. de Girard, Le déluge devant la critique historique, Fribourg, 1893, p. 53-281. Quoi qu’il en soit, si même on réduit au minimum les traditions réellement diluviennes, le fait du déluge reste historiquement certain. Sa certitude historique repose sur un groupe de traditions réelles, qui ont transmis jusqu’à nous le souvenir du grand cataclysme qui frappa l’humanité à l’origine de l’histoire. Cf. E. Mangenot, Le déluge devant la critique historique, dans la Revue des sciences ecclésiastiques, août 1895, p. 97-119. II. qêologie. — Les premiers géologues avaient cru trouver dans les couches de la surface terrestre des preuves directes de la submersion du globe à une époque historique, et ils attribuaient au déluge mosaïque la formation de terrains alluvionnels, qu’ils nommèrent en conséquence diluvium. Leur opinion est aujourd’hui généralement abandonnée. Les géologues contemporains reconnaissent qu’une inondation du genre de celle de Noé, qui n’a duré qu’un an, n’a pu laisser sur le sol de traces assez durables pour être reconnues avec certitude après des siècles, ni assez caractéristiques pour être distinguées de celles d’autres inondations précédentes. Ils rapportent à des époques antérieures et ils expliquent par l’action’d’autres causes les phénomènes que leurs prédécesseurs regardaient comme des preuves géologiques du déluge. On a constaté, en effet, qu’il y a plusieurs espèces de diluvium, et dans chacune d’elles plusieurs couches dues à des facteurs différents et se rapportant à des époques distantes. Elles ont été produites par une longue série de révolutions dans lesquelles l’eau joue un rôle important, mais non exclusif. Les graviers d’alluvion, qui constituent le diluvium gris, ont été entraînés des montagnes dans les vallées par des cours d’eau plus puissants que nos fleuves actuels et coulant dans d’autres conditions de pente et de niveau. Le lœss est dû au ruissellement de pluies très abondantes, qui dégradaient les pentes et emmenaient des boues fines et des fragments de pierre. Le diluvium rouge est le résultat d’alternatives de gelée et de dégel sur la surface d’un sol constamment gelé dans ses profondeurs : A. de Lapparent, Traité de géologie, Paris, 1883, p. 1079-1091. — Les blocs erratiques, ces immenses rochers transportés à des centaines de kilomètres des monts auxquels ils ont été arrachés, n’ont pas été roulés par les eaux, car leurs angles ne sont ni brisés ni arrondis, ils ont été charriés par les immenses glaciers qui aux temps quaternaires ont couvert une partie _ du globe. Les cavernes et les fissures de rochers remplies d’ossements d’hommes et d’animaux fortement ci mentés ensemble et mêlés de fragments des roches environnantes se sont formées à l’époque où le froid excessif obligea les habitants de l’Europe à chercher un abri dans les cavernes. Leurs ossements se sont entassés avec ceux des animaux dont ces grottes avaient été les repaires ou dont eux-mêmes se nourrissaient, et le tout s’est soudé par l’action de l’eau qui s’infiltrait. A. de Lapparent, ’Traité de géologie, p. 1092-1096. — Les cavernes à ossements et les brèches osseuses ne sont donc, pas plus que les terrains diluviens et les blocs erratiques, des preuves certaines du déluge noachique. Toutefois la géologie, qui ne confirme pas directement l’existence du déluge, ne le contredit pas. Elle en montre même la possibilité, lorsqu’elle constate les traces d’inondations considérables aux temps tertiaires et quaternaires. Le déluge biblique ne peut donc pas être déclaré antiscientifique ni impossible. F. Vigouroux, Manuel biblique, t. i. p. 596-599 ; Schdpfer, Histoire de l’Ancien Testament, trad. franc., t. i, p. 75-78 ; Jaugey, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris, p. 870-872.

III. Étendue du déluge. — Le texte biblique présente le déluge comme universel ; mais cette universalité a été entendue dans trois sens différents, et l’inondation a été tenue pour universelle : 1° quant à la surface du globe ; 2° quant à la terre habitée par les hommes ; 3° quant à la région occupée par une partie seulement de l’humanité. Il y a donc trois opinions relativement à l’étendue du cataclysme : la première admet l’universalité absolue et géographique du déluge, la deuxième son universalité anthropologique, la troisième son universalité restreinte à une fraction de l’humanité.

1° Universalité absolue et géographique. — La plupart des anciens écrivains ecclésiastiques, Pères, docteurs, théologiens et commentateurs, croyaient que le déluge avait été complet dans le sens le plus large du mot, et qu’il avait recouvert toute la terre. Ils donnaient au récit mosaïque le sens qu’il présente au premier aspect, et ils l’entendaient d’une inondation qui avait submergé le globe et détruit tous les animaux et tous les hommes, les termes employés par Moïse ne leur paraissaient pouvoir souffrir d’autre exception que celle qu’ils indiquent et qui concerne Noé et sa famille. L’universalité absolue du déluge est décrite dans la Genèse en termes très forts et très nets, et le texte est si clair, que pendant des siècles il a été entendu dans ce sens. Rien n’indique que l’universalité du cataclysme doive être restreinte, et le contexte, par là même qu’il excepte Noé et qu’il n’excepte personne autre, exclut toute interprétation restrictive. Dieu, en effet, a résolu de produire le déluge pour détruire toute chair qui est sous le ciel. Des représentants de toutes les espèces des animaux terrestres sont introduits dans l’arche pour la conservation des espèces sur la terre. Les eaux inondent tout et couvrent les plus hautes montagnes qui sont sous tous les cieux. Toute chair périt, et il ne reste que les seuls êtres vivants qui étaient renfermés dans l’arche. Dieu promet à Noé qu’il n’y aura plus de déluge pour détruire toute chair. Or il y a eu depuis lors des déluges partiels, celui de Deucalion chez les Grecs et la grande inondation des Chinois. Si le déluge de Noé n’avait pas été universel, Dieu aurait donc violé sa promesse. Le gage qu’il en a donné, l’arc-en-ciel, se voit dans toutes les contrées, il est universel. Il faut donc que le déluge, dont il est le signe, ait été universel. En présence d’un texte si formel, les objections tirées des sciences physiques contre l’universalité absolue du déluge ont peu de valeur, et lors même que la raison ne pourrait les résoudre suffisamment, la foi du chrétien ne serait pas ébranlée ; car Dieu, qui avait tout réglé en vue d’une catastrophe universelle, a eu assez de puissance pour réaliser des effets que la science est incapable d’expliquer. D’ailleurs les difficultés que soulève un déluge absolument universel ne sont pas aussi fortes qu’on se l’imagine parfois, et il n’est pas