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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome III.djvu/641

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JËHOVAH (TIIÉODICÉE)

C

I. existence de DIEU.

Dès le premier mot de la Genèse, l’Écriture affirme l’existence de Dieu comme un fait incontestable et incontesté, en affirmant simplement qu’il a créé le ciel et la terre. Gen., i, 1. Les Sémites n’étaient guère portés à douter de son existence. L’impiété à cette époque n’allait pas jusqu’à l’athéisme. L’insensé dit bien en son cœur : « Il n’y a point de Dieu, » Ps. xiv (xm), l ; un (lu), 1, mais, même chez l’insensé, cette parole intérieure, qui n’est pas proférée extérieurement, est moins un doute spéculatif qu’une négation pratique, telle qu’elle ressort d’une vie corrompue. Aussi quand les écrivains hébreux invoquent le témoignage des créatures en faveur du créateur, ils ont moins en vue l’existence même de Dieu que ses attributs, comme la puissance, la sagesse, la providence, la bonté. Ps.xviii, 25 ; xciii, 8-9 ; Is., xl, 25-26. Il fallut que les Juifs vinssent en contact avec les Grecs sceptiques, pour sentir le besoin de prouver l’existence de Dieu. Sap., xiii, 1-5 ; Rom., i, 20.

II. définition de dieu.

Jéhovah s’est défini lui-même : « Je suis celui qui suis. » Exod., iii, 13. Voircol.1231. Cette définition contient en germe toute lathéodicée ; elle nous révèle la nature de Dieu et ses perfections. Celui qui n’a pas reçu l’être, mais qui estlui-même l’Être subsistant, est par là même un être unique ; il est aussi l’Être indépendant, l’Être nécessaire, l’Être absolu, l’Être infini et infiniment parfait. Par quoi serait-il limité ? Par un autre ? Mais il ne dépend de personne. Par son essence ? Mais son essence est l’être, et l’être ne repousse aucune perfection. Les Juifs n’étant pas enclins à la spéculation métaphysique, n’ont pas étudié méthodiquement la nature et les perfections de Dieu. Ils se contentent d’affirmer ses attributs, suivant le besoin ou l’occasion, sans s’occuper de leur enchaînement, et les auteurs sacrés nous enseignent ainsi qu’il est un, spirituel.

/II. unité de dieu. — 1° Ce qui distingue surtout la théodicée biblique de la théodicée des peuples contemporains d’Israël, c’est le monothéisme. Israël n’a qu’un seul et unique Dieu, Jéhovah, et Jéhovah est non seulement le Dieu d’Israël mais celui de tous les peuples de la terre. L’adoration exclusive de Jéhovah n’est pas seulement une monolâtrie, c’est un véritable monothiisme. Jamais les Juifs n’ont reconnu la divinité des dieux païens ; jamais ils n’ont attribué leurs défaites à l’infériorité de Jéhovah ou à la puissance des idoles. Quand leurs espérances les plus chères furent détruites, loin d abandonner Jéhovah leur Dieu, ils s’attachèrent à lui avec plus de fidélité et de confiance. Ils savaient que « Jéhovah est Dieu et qu’il n’y en a point d’autre ». Is., xlv, 18. Cf.Is., xliii, 10 ; xliv, 6 ; xlv, 14, 21-22 ; xlviii, 12, etc. Cette vérité ressortait nettement des perfections et attributs de Dieu, tels qu’ils sont affirmés en cent endroits de l’Écriture, de son immensité, de son éternité, de sa providence universelle, de sa toute-puissance, qui a tout créé, qui conserve tout hors du néant. À toutes les époques, les noms divins, malgré leur variété, sont parfaitement synonymes. Élohim est constamment en parallélisme avec Jéhovah ; Schaddai ou El-Schaddai avec l’un et l’autre, ainsi qu’Adonaï. Chose à noter, jamais les plus ardents fauteurs du monothéisme n’ont pris ombrage de cette diversité d’appellations ; ce qui prouve que dans la conscience nationale ces différents noms n’avaient jamais désigné des êtres distincts.

2° Ces faits, historiquement certains, sont niés par les rationalistes. D’après Smend, Lehrbuch der alltestam. Religwnsgeschichte, 2e édit., 1899, qui résume tous les autres, les Hébreux ne sont arrivés au pur monothéisme que par évolution et en parcourant sept étapes successives. — 1. Jéhovah était primitivement un dieu de la nature, probablement un dieu de la tempête ; aussi a-t-on dérivé son nom de l’arabe hawâ, <s. tomber » (Ewald) ou mieux « souffler » (Wellhausen). — 2. Au temps de Moïse, Jéhovah protégeait une tribu, soit la famille de Joseph

(Wellhausen), soit la peuplade des Cinéens, fraction des Madianites (Stade, Tiele). — 3. En tout cas, son siège était au Sinai. D< ? là, selon une opinion, il aurait accompagné Israël dans le pays de Chanaan ; selon une conception différente, il serait resté sur l’Horeb. Toujours est-il qu’il conclut au Sinai une alliance avec les éléments hétérogènes rassemblés autour de Moïse, éléments qui, en fusionnant, allaient former le peuple hébreu.

— 4. Devenu dieu national à une époque de luttes incessantes, Jéhovah devait être nécessairement un dieu guerrier, un dieu vainqueur, un dieu sauveur. Chez les Sémites, victoire et salut sont synonymes. Les guerres d’Israël seront les guerres de Jéhovah ; les ennemis d’Israël seront les ennemis de Jéhovah, Israël et Jéhovah se prêteront un mutuel secours. Jéhovah est ainsi un dieu vengeur, mais nullement au sens de Dieu rémunérateur, récompensant le bien et punissant le mal. Il n’a d’autre règle que la faveur et le caprice. — 5. En temps de paix, Jéhovah, comme chef de la nation, en est le juge suprême. Cependant il est moins le dieu de la justice que le dieu du jugement (mûpàfl, en tant que les jugements se rendent en son nom et par ses représentants. Comme roi aussi, la Palestine lui appartient ; elle est sa terre, son domaine, son héritage, d’où cependant il peut sortir pour venger ou protéger les siens. — 6. C’est seulement sous les prophètes que Jéhovah est proclamé le dieu de la justice, du droit et de la morale. Voici comment se produisit cet événement capital. Quand tout ft’t perdu pour Israël, quand l’Assyrie, puis la Chaldée, lancèrent leurs armées sur la Palestine, les prophètes prédirent la ruine et ils l’annoncèrent comme irrévocable. Jéhovah était poussé à bout par les péchés de son peuple ; il ne voulait plus se laisser fléchir ; il ferait des ennemis d’Israël les instruments de sa vengeance, quitte à les brisera leur tour à cause de leurs iniquités.

— 7. Pour cela il fallait supposer que les Juifs coupables connaissaient clairement la volonté, la loi de Jéhovah : c est ce que firent li s prophètes. Ainsi Jéhovah est désormais, non plus le dieu exclusif d’un petitpeuple, mais celui de toutes les nations qu’il fait servir à ses desseins ; il est le dieu juste, car c’est comme vengeur de la justice violée qu’il voue irrévocablement Israël à la destruction ; il est le dieu de l’univers, et reçoit le titre de dieu des armées (seba’ôt), c’est-à-dire des puissances cosmiques, des astres et des éléments. Il est par conséquent le dieu unique ; le monothéisme est fondé. — Telle est la théorie imaginée par les ennemis de la révélation.

3° Il serait aussi faux que puéril de nier une certaine évolution dans le dogme et dans la morale, depuis les patriarches jusqu’à Jésus-Christ. La révélation est progressive ; elle devient toujours plus claire, toujours plus riche, à mesure qu’on se rapproche de la loi de grâce, oublie aura son plein épanouissement. Mais ce progrès indiscutable diffère du tout au tout de la conception rationaliste, comme un examen impartial le montre à l’évidence. Il n’est pas superflu de noter qu’on doit juger de la vraie religion d’Israël non d’après les idées de tel ou tel personnage, plus ou moins orthodoxe, mais par les affirmations de l’écrivain sacré ou la croyance générale du peuple. La critique négative oublie trop souvent cette vérité élémentaire. — a) Le Dieu d’Israël ne fut jamais un simple dieu national. — Les dieux nationaux des peuples voisins n’étaient pas des dieux solitaires ; ils avaient des compagnons, sinon des égaux ; bien que le panthéon de ces petits peuples nous soit très imparfaitement connu, nous constatons chez tous l’existence de plusieurs divinités. Cf. Bæthgen, Der Gott lsmel’s und die Gotter der Heiden 1888, chap. i : Die Gôtterwelt der heidnischen Semiten p. 9-130. Il devait en être fatalement ainsi. Le dieu national exclut des supérieurs mais non des vassaux ou des associés : tel Assur à Ninive, Bel ou Mardouk à Babylone, Amon-Ra à Thèbes, Artémis à Éphèse, Baal en Phénicie, etc. Chez toutes les nations de l’antiquité, sans