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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome III.djvu/89

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GÉNÉALOGIE


d’Abd-el-Kader au général Daumas, dans la Revue des deux mondes, 15 mai 1855, p. 775-777. Naturellement, ils font encore plus de cas du blason de l’homme. Chez eus toute biographie de guerrier, de poète, d’écrivain, d’artiste ou de savant, débute par une longue généalogie. Caussin de Perceval, dans son Essai sur l’histoire des Arabes avant Vlslamisme, in-8°, Paris, 1844-1848, reproduit en partie ces listes, recueillies dans le Livre des Chansons (Kitàb-eUAghànï) et autres ouvrages semblables. Les Hébreux partageaient ce goût commun à tous les Sémites, et ils avaient un intérêt particulier à conserver des titres qui leur conféraient des droits et des privilèges. Prêtres et lévites, pour remplir leurs fonctions honorables et bien rémunérées, avaient à établir légalement leur descendance. Au retoty de la captivité plusieurs furent exclus de la classe sacerdotale, I Esd., Il, 62 ; II Esd., vii, 64, et quelques laïques privés du droit de cité, I Esd., ii, 59 ; II Esd., vii, 61, faute de pouvoir démontrer leur origine lévitique ou israélite. Cette preuve était nécessaire, même aux laïques, pour jouir de certains droits, par exemple pour rentrer eh possession de leurs biens de famille, à l’époque dii jubilé. Et comme le sol de la Palestine avait été, selon les prescriptions mosaïques, concédé inaliénablement à telle tribu et à telle maison, il fallait, pour revendiquer une portion du domaine héréditaire aliéné pour un motif quelconque, faire remonter sa généalogie jusqu’à l’un des douze patriarches. On ne s’étonne donc pas qu’après l’exil presque toutes les familles eussent leurs papiers en règle et que l’exception soit signalée par les auteurs sacrés comme un fait anormal.

La parenté la plus rapprochée conférait encore les droits et les devoirs du gôêl. Vulgate : propinquus ou proximus. Ruth., iv, 1-6 ; Lev., xxv, 25. « L’utilité pratique des généalogies, dit l’abbé de Broglie, ouvi, cité, p. 117, en garantit le caractère historique. Sans doute, il a pu exister beaucoupd’-erreurs ; il peut et il doit y avoir eu beaucoup de falsifications. L’importance pratique de ces documents était une excitation à la fraude. Mais l’intérêt rival était une garantie que la fraude serait démasquée. Si donc il n’y a pas lieu (toute question d’inspiration écartée) d’avoir foi d’une manière absolue dans chacun de ces documents, le caractère historique de l’ensemble ne peut être contesté. » — En particulier, les généalogies du premier livre, des Paralipomènes (i-ix) inspirent pleine confiance. Quelques-unes reproduisent exactement, quoique en abrégé, les listes du Pentateuque ; les autres, qu’il nous est impossible de contrôler, ne sont certainement pas inventées par l’auteur qui, plusieurs fois, nous donne ses sources. Ainsi pour la tribu de Gad, nous sommes renvoyés au recensement de cette tribu, I Par., v, 17 ; pour la tribu d’Issachar au dénombrement fait sous David. I Par., vii, 2. Les registres publics, faciles à dresser, parce que de temps immémorial chaque famille possédait ses titres privés, devinrent mieux tenus et plus accessibles à partir de l’époque où se firent les recensements officiels. Nous connaissons les dénombrements de David, I Par., vu, 2 ; xxvi, 31 ; d’Asa, II Par., xiv, 8 ; d’Ozias, II Par., xxvi, 11 ; de Joatham pour Juda et de Jéroboam II pour les tribus du Nord, I Par., v, 17 ; et il y en eut évidemment plusieurs autres. Voir, sur les listes généalogiques du premier livre des Paralipomènes, F. von Hummelauer : Dos vormosaische Priesterthum in Israël, vergleichende Studie zu Exodus und 1 Chron. 2-8, Fribourg-en-Brisgau, 1899, p. 41-106.

Deux tribus surtout devaient tenir à ces archives généalogiques (Sêfér hay-yahas), U Esd., vii, 5 ; la tribu sacerdotale de Lévi et la tribu souveraine de Juda. Josèphe, Vit., i, *Q{ £v toïç 6r, |iciacai ; SéXtoi ; àvayEYpa|i|jivi)v T|îpov, dans son autobiographie puise quelques détails à ces archives publiques. Il mentionne avec fierté l’origine royale de sa mère. Il nous apprend ailleurs avec quel


soin les prêtres, même exilés en Egypte ou à Babylone, conservaient la pureté de leur sang et le souvenir de leur descendance. Ils expédiaient de temps en temps à Jérusalem des registres authentiques où paraissaient dans certains cas les femmes elles-mêmes, car le fils d’une esclave ou d’une ancienne prisonnière de guerre ne pouvait plus remplir les fonctions sacerdotales. Cont. Apion., i, 7. Comme le Mescie devait sortir de Juda et de la maison de David, un motif nouveau devait exciter les membres de cette tribu et de cette famille à préserver les titres de leur illustre origine. Un fait curieux rapporté par Eusèbe d’après Hégésippe, H. E., iii, 19, 20, t. xx, col. 252, nous montre qu’ils n’y manquaient pas. Domitien ordonna de mettre à mort tous les descendants de David : il fallait bien qu’un document officiel permît de les distinguer. Au témoignage d’Hégésippe, les parents du Sauveur ne durent la vie qu’à, l’humilité de leur condition, l’empereur ayant compris qu’il n’y avait rien à craindre de si petites gens.

Quant aux généalogies patriarcales, abstraction faite de l’inspiration, nous n’avons aucun moyen direct d’en prouver la véracité. L’écriture peut avoir été employée de très bonne heure à conserver le souvenir de nos origines, car elle remonte beaucoup plus haut qu’on ne le croyait il y a un demi-siècle. D’ailleurs une mémoire ordinaire suffit à retenir deux dizaines de noms, accompagnés de courtes notices ; et l’on sait la puissance de la mémoire chez les peuples où l’écriture n’est pas d’un usage courant. Nous ne prétendons pas cependant que les noms antiques nous aient été transmis sans modification. Dans les langues primitives tout mot. y compris les noms propres, doit signifier quelque chose. Les noms étrangers sont traduits ou remplacés ; ils se modifient au fur et à mesure de la transformation du langage. Dans les listes de la Genèse, les noms des patriarches ont une physionomie sémitique et même hébraïque très accusée. Ils doivent avoir été accommodés au génie de la langue. Le procédé importe peu. À toutes les époques des personnages ont été connus dans l’histoire sous des noms qu’ils n’ont point portés, soit que, leur nom véritable étant ignoré, on les désigne par un nom commun : Brennus, Pharaon, saint Adaucte, Miramolin, etc., soit pour toute autre cause. Cela n’empêche pas ces personnages d’être historiques. Les rapprochements tentéspar Fr. Lenormant, Origines de l’histoire, t. i, Paris, 1880, p. 214-290, entre les patriarches antédiluviens de la Bible et les rois antédiluviens de la tradition chaldéenne, paraissent forcés. Il n’y a de commun que le nombre dix, mais ce nombre, somme des doigts des deux mains, nous est enseigné par la nature, comme base de la numération, et se rencontre ailleurs dans des listes semblables. Sur l’origine mythologique des patriarches antédiluviens, voir F. Vigouroux, Livres Saints et critique ration., 1891, t. iv, liv. I, chap. vii, p. 191-217. Sur la prétendue identité de la généalogie des Séthites et des Caïnites, voir Vigouroux, ibid., chap. viii, p. 218-227, et de Hummelauer, Comment, in Gènes., 1895, p. 184-189.

IV. Point de vue des généalogies.

Un principe élémentaire, quand il s’agit d’apprécier les institutions ou les écrits des anciens, c’est de se placer à leur point de vue : faute de quoi l’on tourne dans un perpétuel malentendu, blâmant ce qu’il faudrait approuver, approuvant ce qu’il faudrait blâmer. Chez les Sémites, la notion et le rôle des généalogies diffèrent des nôtres au triple point de vue ethnographique, systématique et juridique.

Point de vue ethnographique.

Pour nous, modernes,

les droits de l’individu priment tout, la famille est reléguée au second plan ; pour le Sémite, la famille était tout, l’individu presque rien. De là, cette conception de la justice qui ne manque guère de nous scandaliser ; cette solidarité pour le bien et pour le mal, dans les châtiments et les récompenses ; de là aussi cette identification du père avec ses enfants, du chef de race avec

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