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JUGES (LIVRE DES)


désignés sous le nom de « sauveurs ». II Esd., iz, 27. Le verbe employé dans ces passages est yâsa, « sauver, affranchir, délivrer. » Il est donc synonyme de sâfat, dont le sens primitif est prendre la défense de l’opprimé, le soutenir contre l’oppresseur. Ps. lxxxii, 3 ; x, 18 ; lxxii, 4 ; xxvi, 1 ; xliii, l ; Is., i, 17, 23 ; IReg., xxiv, 16 ; HReg.t xviii, 19, 31. De ce sens primitif est venu le sens de juger et de rendre la justice. On a rapproché les sôfetîm hébreux des suffètes carthaginois. Tite Live, xxviii, 37 ; xxx, 7 ; Festus, xvii ; Corpus inscript, lat., n. 4922, t. v, p. 517. Si le nom est le même, les fonctions diffèrent, car les suffètes étaient des sortes de consuls, des magistrats réguliers qui se succédaient sans interruption et avaient pouvoir sur tous les Carthaginois. Au rapport de Josèphe, Contra Apion., i, 21, les Tyriens, vers l'époque de ZNabuchodonosor, avaient aussi des suffètes, que l’histoarien juif appelle Siya<st « (. — De fait, les Juges d’Israël n'étaient pas des magistrats politiques, placés à la tête du gouvernement et chargés d’administrer tout le pays. Leur mission était essentiellement militaire. C'étaient des chefs temporaires, d’occasion, que Dieu suscitait pour affranchir son peuple coupable, mais repentant, de l’oppression de ses ennemis. Chacun d’eux eut des attributions fort différentes et exerça son pouvoir suivant les circonstances et sur des territoires plus ou moins étendus.

II. Contenu.

Le livre des Juges continue l’histoire d’Israèl après la mort de Josué et la poursuit jusqu'à la naissance de Samuel. Toutefois ce n’est pas une histoire suivie ; on n’y trouve que des épisodes survenus à intervalles plus ou moins longs. « C’est seulement une galerie de tableaux ou plutôt de portraits. » Plusieurs des récits sont peu étendus. L’auteur omet tout ce qui ne rentre pas dans son plan. Ainsi il donne peu de détails sur l’occupation du pays de Chanaan, qui n'était pas terminée à la mort de Josué et qui ne s’acheva que sous les premiers rois. Il groupe ses récits autour de ses héros et il raconte comment ils ont délivré Israël de l’oppression des tribus chananéennes. Le nombre de ces héros, si on compte tous ceux qui sont nommés, s'élèverait au chiffre de quinze, savoir, Othoniel, Aod, Samgar, Jahel, Débora, Barac, Gédéon, Abimélech, Thola, Jair, Jephté, Abesan, Ahialon, Abdon, Samson. Mais Jahel est simplement nommée Jud., V, 6. On ne rapporte pas les actes de Samgar, iii, 31, de Thola et de Jair, x, 1-5, d' Abesan, d’Ahialon et d' Abdon, xii, 8-5. Abimélech est un usurpateur de la royauté, ix, 6. Voir t. i, col. 55. Barac n’est que l’exécuteur des ordres de Débora. Voir 1. 1, col. 1444. Il ne reste donc plus que six juges, qu’on a appelés les grands juges, Othoniel, Aod, Débora (avec Barac), Gédéon, Jephté et Samson. Ils appartiennent à différentes tribus et ne se succèdent pas d’une façon continue.

III. Division.

Le livre des Juges se divise en trois parties distinctes : 1° une introduction ; 2° le corps de l’ouvrage ; 3° deux appendices.

1° Introduction, 1-m, 6. — Elle comprend deux sections parallèles. — Dans la première, i-ii, 5, l’auteur retrace l'état politique d’Israël après la mort de Josué et décrit sa situation en face des Chananéens. Il rappelle la prise de quelques villes, dont celle de Cariath-Sépher était probablement antérieure au décès de Josué. Il indique quelles tribus chananéennes n’avaient pas été exterminées par les Israélites et le motif pour lequel Dieu les avait conservées. Elles devaient être les ministres de ses vengeances contre son peuple coupable. — La seconde section, II, 6-m, 6, dépeint l'état religieux et moral des Israélites, qui ne demeurent pas toujours fidèles à Dieu. Ils se laissent entraîner à l’idolâtrie par les Chananéens qui vivent au milieu d’eux. Pour punir leur infidélité, le Seigneur permet qu’ils soient opprimés par leurs séducteurs. L’excès de la misère les ramène dans la bonne voie ; ils se repentent de leur apostasie et

Dieu suscite des héros qui les délivrent de la servitude. 2° Corps de l’ouvrage, iii, 7-xvi, 31. — Il est formé par une série de récits détachés, qui racontent les exploits des sept grands juges (en comptant Abimélech) et auxquels se rattachent les mentions des petits juges. Aussi on pourrait légitimement le subdiviser en sept sections consacrées à chacun des grands juges. Voir Vigoureux. Manuel biblique, 11e édit., Paris, 1901, t. ii, p. 55. Mais l'époque des Juges se divise en trois périodes distinctes qui sont nettement marquées dans le livre luimême. Il est donc plus naturel de partager celui-ci en trois parties. Chacune d’elles est précédée d’une réprimande de Dieu à son peuple. La première est marquée par l’avertissement général, iii, 1-7, qui donne le ton moral à tout le livre. La deuxième débute par l’envoi d’un prophète qui reproche à Israël son ingratitude et sa désobéissance, vi, 8-10. La troisième commence aussi par de sévères reproches et une menace d’abandon, x, 11-14. « Ces trois périodes se ressemblent en ce que l’apostasie, l’invasion ennemie, la pénitence et la conversion du peuple, sa délivrance par un juge et une longue durée de prospérité se succèdent régulièrement. Cependant il est facile de reconnaître qu’Israël suit une marche progressive dans le mal. L’apostasie devient finalement et plus générale et plus fréquente, mais aussi l’oppression ennemie plus dure. La paix n’est rétablie que pour des époques de moins en moins longues ; encore est-elle troublée par des luttes intestines. Dans chacune de ces trois périodes, il y a eu plusieurs oppressions et plusieurs juges. Il n’est pas nécessaire d’admettre que ces oppressions se sont toutes succédé dans l’ordre où elles sont rapportées dans le récit biblique. Plusieurs régions ont pu être à la fois victimes d’oppressions différentes, et il arriva sans doute aussi qu’une partie du pays jouissait de la paix, lorsque d’autres gémissaient sous la servitude des étrangers. » Pelt, Histoire de VA. T., 3e édit., Paris, 1901, t. i, p. 341-342.

1. La première partie, iii, 7-v, 31, fait le récit des invasions ennemies qui attaquèrent Israël de divers côtés. — a) Chusan, roi de Mésopotamie, envahit Chanaan au nord-ouest et lui impose tribut. Au bout de huit ans, Othoniel, de la tribu de Juda, secoue le joug et procure à la contrée un repos de quarante ans, iii, 7-11. — b) A l’est, les Moabites rendent tributaires les tribus transjordaniques et plusieurs tribus en deçà du Jourdain. Aod, de la tribu de Benjamin, délivra ses compatriotes en tuant par surprise Églon, roi de Moab, et leur procura une paix de quatre-vingts ans, iii, 12-30. — c) Samgar repoussa les Philistins, qui inquiétaient Israël au sud-ouest, iii, 31. — d) Sisara, général en chet de Jabin, avait envahi les régions occupées par les tribus du nord. Débora envoya, au nom du Seigneur, Barac repousser l’envahisseur. L’armée de Sisara fut battue et lui-même fut tué par Jahel. Débora chanta cette victoire, qui fut suivie de quarante ans de repos, iv, 1-v, 31.

2. La deuxième partie, vi, 1-x, 5, raconte l’oppression madianite secouée par Gédéon et l’usurpation de la royauté par Abimélech, fils de Gédéon. — a) Israël coupable fut opprimé pendant sept années par les Madianites. Lorsqu’il recourut à Dieu, le Seigneur suscita Gédéon et lui donna des signes de sa protection. Avec quelques hommes d'élite, Gédéon chassa les Madianites et tua leurs chefs. Il refusa la royauté, mais fit un éphod, qui ramena le peuple à des pratiques idolâtriques. La judicature de Gédéon procura aux Israélites quarante années de paix, vi, 1-vni, 28. — b) Abimélech, après avoir massacré ses frères, se fit reconnaître roi par les habitants de Sichem. Ceux-ci se révoltèrent bientôt, la ville de Sichem fut détruite et Abimélech fut tué par une femme, viii, 29-ix, 57. — c) Les judicatures de Thola d'Éphraîm, à l’ouest, et de Jaïr de Galaad, à l’est du Jourdain, sont simplement mentionnées, x, 1-5.