Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome IV.djvu/459

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

883

    1. MATTHIEU##

MATTHIEU (ÉVANGILE DE SAINT)

584

Aussi loin que nous puissions remonter, en effet, nous constatons la connaissance et l’emploi de cette version grecque. Les plus anciennes citations du premier Évangile par les Pères. sont grecques et se rapportent au texte grec de saint Matthieu, et Papias nous laisse entendre qu’au moment où il écrivait les Églises d’Asie avaient déjà une version grecque de l’Évangile de saint Matthieu. Les Pères postérieurs à Papias ont cité le texte grec seul comme l’œuvre de l’apôtre, et les plus anciennes versions, sauf peut-être la version syriaque découverte et publiée par Cureton, ont été faites sur le texte grec. L’auteur de cette traduction grecque est inconnu. Eusèbe, Qusest. ad Marinum, ii, t. xxii, col. 941, et saint Jérôme, De vir. ill., 3, t. xxiii, col. 613, ignorent son nom ou n’ont point sur lui de renseignement certain. C’est par pure conjecture que certains noms ont été plus tard proposés. Plusieurs manuscrits grecs minuscules, avec Théophylacte, In Matlh., prol., t. cxxiii, col. 145, désignent saint Jean ; on a mis en avant saint Barthélémy, parce que Panténe avait trouvé en Arabie un manuscrit de saint Matthieu écrit par cet apôtre de l’Ethiopie ; la Synopsis Scripturse Sacrée, attribuée à saint Athanase, t. xxviii, col. 432, a pensé à Jacques le Mineur, frère du Seigneur.

Nonobstant le témoignage constant et unanime de l’antiquité, beaucoup de critiques modernes estiment que le texte grec de saint Matthieu est, non pas une traduction de l’araméen, mais l’original lui-même. C’est aujourd’hui l’opinion dominante. Sur quels arguments s’appuie-t-elle ? Hug, Einleitung in die Schriften des N. T., 4e édit., 1847, t. ii, p. 30 sq., s’est efforcé de démontrer à grand renfort d’érudition qu’au 1 er siècle de notre ère la langue grecque était d’un usage universel en Palestine, et que presque tous les Juifs pouvaient la comprendre, la lire et la parler. Or l’Évangile de saint Matthieu, destiné aux chrétiens de la Palestine, était naturellement rédigé en grec, dans cette langue qui était à la portée, non seulement des destinataires immédiats de son récit, mais encore de tous les chrétiens qui parlaient grec. Mais la thèse de Hug n’est pas démontrée et, quelle qu’ait été l’introduction de l’hellénisme dans le monde palestinien, voir t. iii, col. 575-579, il est avéré que la langue grecque n’était ni connue ni parlée par la masse du peuple sous lesHérodes, voir t. iii, col. 314-315 ; cf. E. Schûrer, Geschichte des jûdischen Vclkes im Zeitalter Jesu Christi, 3e édit., Leipzig, 1898, t. ii, p. 63-66, et que les Juifs de Palestine se distinguaient de leurs coreligionnaires de la dispersion, parlant grec, en les nommant hellénistes et en se réservant le titre d’hébreux. Voir t. iii, col. 582. Cf. R. Simon, Histoire critique du texte du N. T., Rotterdam, 1689, p. 47-71.

Aussi les critiques n’insistent-ils plus sur cette considération et préfèrent-ils étudier les caractères propres du texte grec pour y reconnaître ceux d’un ouvrage original et non pas d’une traduction^ Ils font valoir : 1° la langue et le style du premier Évangile. Le grec de saint Matthieu est coulant, clair, moins chargé d’hébraïsmes que celui de saint Marc. On y remarque l’emploi du génitif absolu et la subordination régulière des membres de phrase par l’opposition de ji.lv et de 61. Le style est partout le même, et les mêmes mots : xàtt, xxt ISoû,-f) ^cktiXeîx tûv oûpavûv, etc., sont constamment répétés. Il y a enfin des jeux de mots grecs, tels que paxtoyoxsîv et jioXuXoyîa, VI, 7 ; àçaviÇovui et ôrc&iç çavtoir ! , vi, 16 ; xaxoù ; xaxâç aTtoXêffEt, XXI, 41 ; xôi^oviai xal ô^ovTai, xxiv, 30, etc. Toutes ces observations ne se concilient pas aisément avec le travail d’un traducteur et révèlent une œuvre originale. — Si le style du texte grec actuel est coulant, clair et présente les formes propres de la phrase grecque, c’est simplement parce que le traducteur inconnu savait bien cette langue et ne s’est pas borné à rendre littéralement l’original

araméen. D’ailleurs, ce style simple, uniforme et peu soigné, s’adapte aisément à une traduction. Les aramaîsmes n’y manquent pas. On nous concède qu’ils trahissent un écrivain grec d’origine juive. Peut-être, s’ils existaient seuls, ne dépasseraient-ils pas cette conclusion. Mais, la tradition ecclésiastique nous apprenant l’existence d’un original araméen, ils la confirment suffisamment, loin de la contredire. Enfin, les jeux de mots sont rares et exceptionnels, et chacun sait qu’ils peuvent se produire par hasard ou intentionnellement dans une traduction. La version latine a très bien rendu : xaxoùç xaxâiç àitoXé<ret, xxi, 41, par malos maie perdet. On pourrait encore y signaler des assonances particulières, telles que orationes orantes, xxiii, 14 ; excolantes culicem, xxiii, 24 ; molentes in mola, xxiv, 41 ; cum venerit, invenerit, xxiv, 46, qui n’ont pas d’équivalentes dans le texte grec, sans qu’il en résulte logiquement que le texte latin représente l’original de saint Matthieu. — 2° Les citations de l’Ancien Testament en saint Matthieu sont faites, tantôt d’après le texte hébreu, par exemple, xxvir, 9, tantôt d’après les Septante, par exemple, xxi, 16, tantôt enfin d’une manière un peu divergente de ces deux textes ou en les citant successivement comme xiii, 35. Cette diversité de recours aux livres de l’ancienne alliance et la manière dont plusieurs citations sont interprétées indiquent assurément un écrivain au courant de la littérature hébraïque ; elles ne supposent pas nécessairement un auteur écrivant en hébreu ou en araméen. — Cette diversité, constatée déjà par saint Jérôme, dans les citations bibliques du premier Évangile, ne prouve ni pour ni contre la langue originale, employée par saint Matthieu. On a, en effet, calculé le nombre de ces citations, qui est de quarante-cinq environ, et on a remarqué qu’elles se répartissent en deux groupes : le plus grand nombre se rencontre dans les discours mêmes de Jésus ; onze seulement ont été employées par l’évangéliste lui-même pour rapprocher un fait de la vie du Sauveur d’une prophétie messianique. Or les unes et les autres suivent le texte hébreu et le texte grec de l’Ancien Testament tour à tour. On ne peut donc tirer de ce fait aucune conclusion certaine pour ou contre la langue originale du premier Évangile, car un écrivain araméen pouvait employer la version des Septante, connue de son temps en Palestine, comme un helléniste recourir à l’original hébreu. Cf. Anger, Ratio qua loci V. T. in Evangelio Matthxi laudantur, 1861 j Massebiau, Examen des citations de l’A. T. dans l’Evangile selon saint Matthieu, 1885. — Pour expliquer L’apparente originalité du texte grec, il n’est pas nécessaire de supposer, avec Bengel et quelques autres critiques, que saint Matthieu, après avoir écrit d’abord son Évangile en hébreu, l’aurait publié plus tard en grec. L’historien juif Josèphe, il est vrai, a composé sa Guerre juive dans sa langue paternelle, puis il l’a traduite en grec pour les Romains. Mais un procédé semblable est moins naturel de la part d’un apôtre, et il est plus vraisemblable que la traduction grecque du premier Évangile est d’une autre main que celle de saint Matthieu.

III. Plan et analyse. — Bien que les indications chronologiques soient nombreuses dans le récit de saint Matthieu, les critiques admettent généralement aujourd’hui que, sauf pour l’enfance et la passion de Jésus, le premier évangéliste n’a pas suivi l’ordre chronologique des événements. Dans le ministère public, il groupe les faits et les discours par ordre d’affinité et les dispose de façon à atteindre plus directement le but spécial qu’il se proposait. Les données chronologiques, sont vagues et générales, et le narrateur relie ses récits par la répétition continue de « alors », tixi, « en ces jours-là, - » etc. Le_groupement des actes et des paroles de Jésus, quoique systématique, n’est pas aussi logique et aussi serré que le désireraient les lecteurs occidentaux.