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    1. MYTHIQUE##

MYTHIQUE (SENS)

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fiction, la poésie et la prose, n’étaient pas séparées d’une manière aussi tranchée que parmi nous ». Et il se contentait de dire : « En soi, (ces fictions d’un individu ) ne sont pas mythiques ; elles ne le deviennent qu’autant que, trouvant croyance, elles passent dans la légende d’un peuple ou d’un parti religieux, car alors il est clair que l’auteur les a conçues, non d’après ses propres pensées, mais en accord avec les sentiments d’une foule d’hommes. » § xiv, p. 114-115. — C’est « une querelle de mots », dit-il dans sa Nouvelle vie de Jésus, t. i, p. 205. « Dans ce nouveau travail… j’ai fait la part plus large à la fiction voulue et réfléchie, mais je n’ai trouvé aucun motif sérieux de changer de terminologie. Je maintiens que le nom de mythe convient même aux fictions réfléchies d’un individu, dès que ces fictions sont devenues des croyances, dès qu’elles ont passé dans la légende d’un peuple ou d’un parti religieux. » « La plupart des récits du quatrième Évangile, par exemple, offrent, jusque dans les moindres détails, une suite et un plan si rigoureux, qu’à moins d’être franchement historiques, ils ne peuvent guère passer que pour des morceaux combinés en pleine connaissance de cause, s « J’appelle donc mythe tout récit dénué d’autorité historique, quelle que soit son origine, dans lequel une communion religieuse reconnaît un élément fondamental de sa foi, parce qu’il contient l’expression exacte de ses principaux sentiments et de ses plus chères idées. » lbid., 1. 1, p. 204, 209.

Quelle est la valeur restante de l’Évangile, ainsi interprété par le mythisme ? Strauss tient à le définir dans la préface à sa première édition : « L’auteur sait, dit-il, que l’essence interne de la croyance chrétienne est complètement indépendante de ces recherches critiques. La naissance surnaturelle du Christ, ses miracles, sa résurrection, et son ascension au ciel, demeurent d’éternelles vérités, à quelque doute que soit soumise la réalité des choses en tant que faits historiques. » Vie de Jésus, t. i, p. 3. En réalité, pour le critique allemand, les vérités qui demeurent sont des vérités abstraites, entièrement indépendantes des faits évangéliques et de la personne de Jésus, n’ayant de relation qu’avec le fait et la personnalité de l’humanité en général. C’est à l’humanité en général qu’il faut rapporter les attributs que l’Église donne au Christ. Il n’y a « d’éternelles vérités » dans l’Évangile que ce qui peut convenir à l’humanité, laquelle est véritablement « le Dieu fait homme, c’est-à-dire, l’esprit infini qui s’est aliéné lui-même jusqu’à la nature finie, et l’esprit fini qui se souvient de son infinité ». T. ii, p. 712. Ainsi le mythisme de Strauss aboutit, en fin de compte, au panthéisme d’Hegel, où Dieu ne se distingue pas de l’homme et où l’homme devient Dieu.

3° Système de Renan. — Si nous avons longuement analysé le système du célèbre écrivain de Tubingue, c’est que ses principes sont devenus les règles de l’exégèse évangélique, dite indépendante, et que, sauf des variantes dans les détails, les mêmes idées ont inspiré depuis lors les critiques rationalistes, ou protestants libéraux, les plus renommés. — Renan, dans sa Vie de Jésus, Paris, 1863 ; 13e édit., 1867, n’a guère fait que reproduire en français le système mythique de Strauss, en adoptant son panthéisme hégélien. Toutefois, entre 1835 et 1863, de grands travaux critiques s’étaient accomplis, qui avaient abouti, d’une part, à constater définitivement l’authenticité de la plupart des Épitres de saint Paul, et, d’autre part, à reconnaître aux Évangiles une origine beaucoup plus ancienne et surtout une dépendance vis-à-vis de documents beaucoup plus primitifs que Strauss ne l’avait supposé. On ne trouvait donc plus un temps suffisant pour la formation d’un ensemble de mythes aussi considérable que celui qu’avait imaginé le docteur allemand. Renan dut admettre l’historicité de la grande masse des faits évan géliques, y compris les nombreuses guérisons opérées par Jésus et la croyance des Apôtres en de multiples apparitions de leur Maître ressuscité. Dès lors, tout le procédé du critique français fut de donner, des faits qui s’imposaient comme historiques, un essai d’explication naturelle, un peu selon la méthode de Paulus, perfectionnée ; et, pour ce qui était trop évidemment surnaturel, trop absolument réfractaire à toute interprétation naturaliste, d’en nier l’historicité, en l’attribuant au travail mythique de la légende, selon les principes inaugurés par Strauss. — Des « biographies légendaires », tel est le qualificatif qu’il donne à nos Évangiles. Ibid., 13= édit., Introd., p. lxxxix. Et, comme il place la composition des Synoptiques peu après l’an 70 et qu’il fait dépendre directement saint Marc de la tradition orale de saint Pierre, saint Matthieu et saint Luc de documents écrits remontant à l’époque même des Apôtres, force lui est de supposer que le « travail de métamorphose » mythique s’opéra « dans les vingt ou trente années qui suivirent la mort de Jésus et imposa à sa biographie les tours absolus d’une légende idéale ». lbid., p. ra. Bien plus, il en vient à dire que c’est du vivant même de Jésus que s’inaugura ce travail. « Peut-être, dit-il, un œil sagace eût-il pu reconnaître dès lors le germe des récits qui devaient lui attribuer une naissance surnaturelle. » lbid., p. 250. On peut se demander s’il ne sut pas lui-même « quelque chose des légendes inventées pour le faire naître à Bethléhem ». P. 249. ci Sa légende était ainsi le fruit d’une grande conspiration toute spontanée et s’élaborait autour de lui de son vivant. » P. 250.

4° Systèmes récents. — Le rationalisme panthéistique de Strauss et de Renan ne semble guère plus de mode aujourd’hui, même en Allemagne. Les critiques libéraux estiment très généralement que leur appréciation de la valeur historique des Évangiles, et l’élimination qu’ils font de tout ce qui s’y trouve de trop manifestement miraculeux, laissent subsister la valeur essentielle du christianisme comme religion véritable et définitive, et la valeur du Christ comme organe de la révélation et médiateur suprême pour aller à Dieu. Mais, à part cette différence d’appréciation d’ensemble et de conclusion pratique pour la foi, c’est bien le même système auquel recourent ces critiques : élimination du surnaturel trop saillant par l’hypothèse d’un travail mythique de la pensée chrétienne, qui se serait opéré antérieurement à la rédaction finale des Évangiles, sous l’influence, soit de l’impression profonde laissée par Jésus, soit des conceptions messianiques héritées de la tradition juive, soit même des mythes étrangers, familiers aux milieux païens. Cf. H. J. Holtzmann, Einleitung in dus Neue Testament, 3e édit., Fribourg-en-B., 1892 ; Die Synoptiker, 3e édit., Frib., 1901 ; A. Jûlicher, Einleil. in dos N. T., 3e édit., Frib., 1901, p. 290 sq. ; P. W. Schmiedel, art. Gospels, § 137 sq., Encycl. bibl., t. ii, col. 1876 sq., etc. — C’est ainsi que l’on prétend expliquer la conception virginale et les épisodes de l’Enfance, le baptême et la tentation, les résurrections de morts et les miracles sur la nature, les déclarations de la dignité messianique faites par Jésus, les démons ou ses disciples, enfin la transfiguration, la résuirection^eH’ascension.

A) Récifs de la Conception et de l’Enfance. — o) D’après N. Schmidt. — Le récit de la conception virginale est rattaché par N. Schmidt, art. Son of God, § 17, Encycl. bibl., t. iv, col. 4699, à une méprise de l’Église de la gentilité sur le titre de Fils de Dieu, employé par Jésus. A en croire ce critique, on se représenta d’abord que Jésus avait été adopté particulièrement de Dieu comme Fils à son baptême ; la génération du Fils de Dieu était censée s’être opérée par l’investissement de l’Esprit-Saint, survenant en forme de colombe. Or, c’est « ce mythe primitif qui semble avoir fait place ensuite à