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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome V.djvu/136

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PHILÉMON (ÉPÎTRE. A)


salutations des compagnons de Paul, ce sont les mêmes noms que dans l’Épltre aux Colossiens, à part celui de Jésus Justus qui probablement n’était pas connu de Philémon. Par contre, Êpaphras est mentionné le premier de tous, étant l’ami personnel de Philémon. Il était alors à Rome et partageait l’appartement que le prisonnier Paul avait loué. Col., iv, 10-12.

II. LlEK ET DATE DE LA COMPOSITION DE L’ÉPÎTRE. —

De l’aveu de presque tous les critiques, l’Épltre à Philémon a été rédigée en même temps que les Épîtres aux Colossiens et aux Éphésiens. « . Ces trois lettres, dit Sabatier, forment un groupe distinct dans l’ensemble des Épîtres de la captivité et ne doivent point être séparées. Écrites en même temps, portées en Asie Mineure par les mêmes messagers, elles gardent des traces frappantes de cette parenté d’origine. Philem., 10, et Col., iv, 9 ; Philem., 23, 24, et Col., iv, 10, 12, 14 ; Philem., 2, et Col., iv, 17. Ces Épîtres, en effet, se supposent l’une l’autre. A. Sabatier, L’Apôtre Paul, 3e édit., 1896, p. 233. D’après leur contenu, elles ont été certainement écrites durant une des deux captivités de Paul. Mais est-ce celle de Rome ou celle de Césarêe ? Les exégètes modernes ne sont point d’accord sur ce point. Voir leurs arguments, pour ou contre, à l’article Colossiens (ÉpItre aux), t. ii, col. 867.

III. Authenticité. — On ne trouve pas de traces certaines de l’Épltre à Philémon chez les Pères apostoliques. Br. F. Westcott, Canon of the N. T., 1884, p. 48. Les premières citations formelles de l’Épître à Philémon viennent d’Origène qui l’attribue à Paul et en extrait plusieurs passages. In Jerem., nom. xix, 2 ; Comm. séries in Matth., § 66, 72, t. xiii, col. 501, 1707, 1715. Tertullien, Adv. Marc, v, 11, t. ii, col. 254, remarque que la brièveté de cet écrit l’a mis à l’abri des falsifications de Marcion. D’après saint Épiphane, Hser., xlii, 9, t. xli, col. 708, la lettre à Philémon occupait dans le recueil de Marcion l’avant-dernière place, après les Épîtres aux Colossiens et aux Laodicéens et avant celle aux Philippiens, tandis que, d’après Tertullien, elle venait après celle-ci, comme la dernière. On la trouve mentionnée dans le canon de Muratori, à côté des trois Épîtres pastorales. Voir t. ii, col. 170. Les deux anciennes versions syriaque et latine la contenaient. Saint Jérôme, Comm. in Epist. Philem., Proœm., t. xxvi, col. 601, observe pourtant que plusieurs ne la croyaient pas écrite par saint Paul ou que, si elle était de luj, elle n’était pas inspirée, car elle ne contenait rien pour l’édification : c’était plutôt Une lettre de recommandation qu’une lettre doctrinale. A quoi l’illustre exégète répondait : on trouve, dans toutes les lettres de Paul, des détails se rapportant aux choses de la vie, par exemple, II Tim., iv, 13, où l’Apôtre donne l’ordre de lui rapporter son manteau et ses livres, et d’ailleurs jamais cette lettre n’aurait été reçue par toute l’Église, si l’on n’avait pas cru qu’elle fût de Paul. Saint Chrysostome, In Philem. Prol., t. lxii, col. 702, reproduit à peu près les mêmes raisons contre ceux qui considéraient cette Épître au-dessous de la dignité du grand Apôtre. À partir de ce moment, l’authenticité de notre Épître n’a laissé aucun doute dans les esprits. Elle n’a été mise en question que par Christian Baur qui lui dénia son origine paulinienne, opinion plus ou moins adoptée par "Weizsàcker, Pfleiderer, Steck, von Manen. Pour ces critiques, l’Épltre à Philémon est l’embryon d’un roman chrétien analogue à celui des Récognitions clémentines, destinées à mettre en exemple la telle idée chrétienne que chaque fidèle se retrouve lui-même dans chacun de ses frèresCette hypothèse n’a aucun fondement.

La lettre à Philémon est d’une telle originalité et l’âme de Paul l’a si bien marquée de son empreinte ineffaçable, qu’on ne peut douter de son authenticité. Voir P. Sabatier, L’Apôtre Paul, 3e édit., p. 235, 236 ; Re nan, Saint Paul, 4869, introd., p. xi. Von Soden, dans le Hand-Commentar z-um N. T., t. iii, part, i, Fribourgen-B. , 1893, p. 73, admire, dans cette lettre, un témoignage charmant de la délicatesse et de l’humour de l’Apôtre, et tout à la fois de l’élévation de sentiment et de langage avec laquelle il savait traiter les choses concrètes de la vie. Les objections tirées du vocabulaire de l’Épltre méritent à peine de retenir l’attention. Les sept âiraS AeY<5[<.eva qu’on y signale, âva71 ! [i.71eiv, dtitOTÎveiv, a)y » )crTOç, iitniaæii, ijevt’ot, ôvivaurôoti, itpocrotpe&eiv, n’enlèvent pas l’impression générale que le style de l’Épître ne soit celui de Paul, en particulier celui des autres Épîtres de la captivité. On retrouve, en effet, plusieurs des expressions favorites de Paul : è7ti’-fvw<"î> itappiimoi, 7tapâxX ?)<nc. La belle métaphore 8v èy£vvr|<Toc èv toi ; Ssiriioiç, jt. 10, rappelle I Cor., i, 15, l’adverbe Tà^a, ꝟ. 15, l’Épître aux Romains, v, 7. Il y a, en outre, nombre de coïncidences verbales avec les Épîtres aux Colossiens, aux Éphésiens, aux Philippiens, par exemple, 8é<T|iioç Xpio-coO’Ir|<ToO, ll, 1, 9 ; Eph., ni, 1 ; iruvep-fiSî et (nj<rrpaTiMTr|Ç, v, 1, 2 ; Phil., ii, 25 ; dtvrixov, v, 8 ; Eph., v, 4 ; Col., iii, 18 ; (ruvaixiidcXuTo ; , v, 23 ; Col., iv, 10 ; àStlfoç àYa7niT<îç, v, 16 ; Eph., vi, 21 ; Col., iv, 7.

IV. Mérite littéraire. — Tous les critiques s’accordent à reconnaître, dans l’Épître à Philémon, un vrai petit chef-d’œuvre de l’art épistolaire. Érasme, In Philem. , 20, défie même Cicéron de dépasser l’éloquence de ces quelques lignes. On ne sait ce qu’il faut le plus admirer dans cette page, unique en son genre parmi les écrits de Paul, la finesse, la grâce, la délicatesse de sentiment et de langage, les tournures heureuses, les insinuations habiles, les sous-entendus pleins de tact et d’à-propos. Cette Épître nous révèle la souplesse du génie de Paul. « Ce ne sont, dit Sabatier, que quelques lignes familières, mais si pleines de grâce, de sel, d’affection sérieuse et confiante, que cette courte Épître brille, comme une perle de la plus exquise finesse, dans le riche trésor du Nouveau Testament. Jamais n’a mieux été réalisé le précepte que Paul lui-même donnait à la fin de sa lettre aux Colossiens : « Que votre « parole sorte toujours revêtue de grâce, assaisonnée de « sel, de manière à savoir comment vous devez répondre « à chacun. Col., iv, 6. » L’Apôtre Paul, 3e édit., p. 234, 236. La conservation de cette Épître est due sans doute au respect, à l’affection, au culte de la famille de Philémon pour tout ce qui émanait de J’Apôtre Paul.

V. La question de l’esclavage. — On a parfois reproché à Paul d’avoir renvoyé Onésime à son maître au lieu de prendre occasion de cet incident pour proclamer, au nom de l’Évangile, l’émancipation des esclaves. Il faut, au contraire, louer l’Apôtre de ne s’être point posé en Spartacus imprudent et d’avoir traité avec une si grande sagesse un point de doctrine si grave et si délicat. On doit lui savoir gré d’avoir tracé la ligne de conduite que le christianisme devait prendre à l’égard d’une institution qui tenait, par tant de liens intimes, à la vie politique, sociale, économique, des sociétés anciennes. En renvoyant l’esclave à son maître, Paul reconnaît, respecte l’institution existante mais il ne lui donne pas, comme on l’a prétendu, une sorte de consécration qui la rende intangible. Il pose, au contraire, les principes qui doivent, dans un avenir plus ou moins rapprochera faire disparaître du monde civilisé. Par le fait qu’il fait de l’esclave chrétien le frère de son maître et qu’il efface dans le Christ toutes les différences sociales, il ruine, par la base, cette oppression de l’homme par l’homme. Voir Onésime, t. iv, col. 1812.

VI. Bibliographie. — J.-B. Lightfoot, S. Paul’s Epistles to the Colossians and to Philémon, in-8°, Londres, 1892 ; H. K. von Soden, Die Briefe an die Kolosser, Epheser, Philémon, Fribourg, 1893, p. 73 ; Meyer, Comment, ùber die Briefe an die Kolos. und