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PESTE


produire des taches noires sur la peau ; c’est alors la peste hémorragique ou mort noire. Quand les symptômes de dépression s’accentuent, la maladie ressemble à une grave fièvre typhoïde et prend le nom de peste typhoïdique. Il y a donc différentes variétés de pestes, les unes malignes, les autres bénignes et moins contagieuses. La peste est souvent foudroyante, notamment au début des épidémies ; ejle tue alors ses victimes en quelques heures. Parfois, au contraire, elle est si atténuée que les malades peuvent continuer à vaquer à leurs occupations. C’est alors la peste ambulatoire.

4° Ses ravages. — La peste est, avec la fièvre jaune, la plus meurtrière des maladies. Au début de l'épidémie, presque personne n'échappe ; on estime qu’ensuite la mortalité est en moyenne de 50 à 60 pour cent, pouvant aller cependant à 90 ou 95 pour cent. La période d’activité de l'épidémie est de huit mois environ ; « nsuite la mortalité baisse lentement. Depuis la peste d’Athènes, décrite par Thucydide, Bell. Pelop., Il, 48, l’histoire a enregistré un certain nombre de pestes très meurtrières. La peste noire, qui sévit en Asie et en Europe de 1346 à 1361, coûta la vie à 24 millions d’hommes en Europe, et probablement à un plus grand nombre en Asie. Quelques détails empruntés à la description de la peste de Marseille, en 1720, donneront une idée de ce qui devait se passer dans les villes de l’antiquité quand l'épidémie les visitait. « Marseille présente alors le plus épouvantable spectacle ; cent mille personnes se craignent, veulent se fuir et se rencontrent partout. Les liens les plus sacrés sont rompus. Tout ce qui languit est déjà réputé malade, tout ce qui est malade est regardé comme mort. On s'échappe de sa propre maison, où quelques parents rendent le dernier soupir ; on n’est reçu dans aucune autre. Les portes de la ville sont encombrées d’une foule empressée de se dérober au souffle empoisonné. Les gens du peuple campent sous des tentes… lien est qui vont chercher un refuge sur le sommet des collines ou dans le fond des cavernes. Les marins se croient plus heureux parce qu’ils vivent dans des barques sur le port. Mais la mer et les ruisseaux, les collines et les cavernes ne protègent point contre les atteintes de la contagion… Toutes les boutiques fermées, le commerce arrêté, les travaux interrompus, toutes les rues, toutes les places, toutes les églises désertées ; ce n’est encore là qu’un premier coup d'œil de la dévastation de Marseille. Quelques jours après, l’aspect de Marseille était effrayant. De quelque côté qu’on jette les yeux, on voit les rues jonchées des deux côtés de cadavres qui s’entretouchent et qui, étant presque pourris, sont hideux et effroyables à voir. Comme le nombre des forçats qu’on a pour les prendre dans les maisons est beaucoup inférieur pour pouvoir dans tous les quartiers les retirer journellement, ils y restent souvent des semaines entières et ils y resteraient encore plus longtemps, si la puanteur qu’ils exhalent et qui empeste les voisins ne les déterminait, pour leur propre conservation, de faire un effort sur eux-mêmes et d’aller les retirer des appartements où ils sont pour les traîner sur le pavé. Ils vont les prendre avec des crocs et les tirent de loin avec des cordes jusqu'à la rue ; ils font cela pendant la nuit pour être libres de les traîner le plus loin qu’ils peuvent de leurs maisons et de les laisser étendus devant celle d’un autre qui frémit, le lendemain matin, d’y trouver ce hideux objet qui ï'infect&et lui porte l’horreur et la mort. On voit tout le cours, toutes les places, tout le port, traversés de ces cadavres qui sont entassés les uns sur les autres. Sous chaque arbre du cours et des places publiques, sous l’auvent de chaque boutique, on voit entre tous ces cadavres un-nombre prodigieux de pauvres malades et même des familles tout entières, étendus misérablement snr un peu de paille ou sur de mauvais matelas, s


A. Boudin, Histoire de Marseille, cité par L. Laruelle, La peste dans l'état actuel de la science, dans la Revue des questions scientifiques, Bruxelles, juillet 1897, p. 41-43. Voir tout l’article, p. 39-73, et E. Deschamps, Peste, dans le Traité de médecine de Brouardel, Paris, 1903, t. ii, p. 52-58. Tel était le spectacle que devaient présenter équivalemment les villes anciennes quand la peste y éclatait. Les rares victimes de la peste qui échappent à la mort demeurent languissantes, plus ou moins paralysées et atteintes dans leur intelligence. La peste, qui se répandait dans tout l’ancien monde, est aujourd’hui confinée dans quelques foyers, en Afrique, la Cyrénaïque, et en Asie, l’Assyrie, l’Irakvrabie, la Perse, le Turkestan, l’Afghanistan, l’Hindoustan et la Chine. Elle ne détermine pas toujours, dans les endroits où elle est endémique, les mêmes désastres qu’autrefois en Europe. Mais elle a eu de temps en temps des réveils terribles, et l’on a pu constater que sa virulence ne s'était pas atténuée avec les siècles. En 1894, elle fit à Canton, en quelques semaines, 60 000 victimes. En revanche elle n’a jamais envahi l’Amérique. — Voir H. F. Mûller, Die Pest, in-8°, Vienne, 1900.

II. La. peste dans la Bible. — 1° Ses caractères. — La peste apparaît dans la Bible comme un mal qui effraie par sa soudaineté et ses ravages. Sa nature infectieuse ressort de ce faitqu’elle accompagne souvent la famine dans les villes assiégées, où toute hygiène est rendue impossible. Mais les écrivains sacrés ne fournissent aucun détail permettant d’identifier la peste dont ils parlent. Les noms qui la désignent en hébreu sont des termes généraux, impliquant l’idée de mort, mais convenant à diverses calamités. Pour rendre ces différents termes, les Septante n’ont guère que le mot 8àvaxo ; , « mort », dont la signification est très étendue. Cf. Ose., xiii, 14. Il est donc à croire que les termes du texte hébreu visent des affections morbides assez diverses, n’ayant de commun que leur caractère virulent, leur extension rapide et la multiplicité de leurs ravages. Le typhus, la peste noire, le choléra, et d’autres épidémies analogues ont donc pu sévir sur les Israélites et leurs voisins, sans qu’il soit possible de préciser, en aucun cas, la nature spécifique du mal. Cf. W. Ebstein, Die Medizin im Alten Testament, Stuttgart, 1901, p. 100-101.

2° Pestes mentionnées dans la Bible. — 1. Après la peste du bétail, qui constitue la cinquième plaie d’Egypte, Exod., ix, 3-6, un autre genre de peste s’abattit, sous forme de pustules, sur les hommes et les animaux. Exod., îx, 8-11. Ce fut la sixième plaie. Voir Pustules. Sur le mal épidémique qui frappa les Philistins détenteurs de l’Arche, voir Ofalim, t. iv, col. 1757. — 2. La peste signalée sous David, à la suite du dénombrement, dura trois jours et fit périr 70 000 hommes. Reg., xxiv, 15 ; I Par., xxi, 12-14. L’exécution de la sentence divine est alors confiée à un ange, « qui promène la mort dans tout le territoire d’Israël. » Cette peste est présentée comme un châtiment divin, que David lui-même préféra à une famine de trois ans et aune guerre de trois mois. Elle commence et elle s’arrête sur l’ordre de Dieu. Il y a donc là une épidémie qui peut être naturelle en elle-même et analogue à celles qui sévissaient de temps en temps, mais qui fut surnaturelle dans ses circonstances. — 3. Sous le roi Ézéchjas, l’ange de Jéhovah fit périr en une nuit 185000 hommes de l’armée de Sennachérib, aux environs de Jérusalem. IV Reg., xix, 35 ; Is., xxxvii, 36. Josèphè, Ant. jud., X, i, 5, attribue ce ravage à une peste, Xot(jtixTi vôctoç. Mais les textes ne donnent aucun détail permettant de reconnaître le genre de maladie. Il ne serait pas impossible que l’agent employé par Dieu ait été le typhus, qui se distingue de la peste par l’absence de bubons et de charbons, mais dont on a observé fréquemment le développement au milieu des armées.

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