Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome V.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
10
PÉCHÉ

Le dernier précepte du Décalogue proscrit les simples convoitises mauvaises, Exod., xx, 17, et Notre-Seigneur déclare que du cœur sortent les pensées mauvaises. Matth., xv, 19 ; Marc, vii, 21. Il affirme en outre que certains désirs sont coupables, comme les actes eux-mêmes. Matth., v, 28. Ainsi les actes extérieurs ne suffirent pas à constituer le péché. Dans leur confession négative, qui forme le chapitre cxxv du Livre des Morts, cf. W. Pleyte, Étude sur le chapitre cxxv du Rituel funéraire, Leyde, 1866 ; Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient classique, Paris, 1895, t. i, p. 189, les Égyptiens ne savent s’accuser que de fautes extérieures d’ordre moral, social ou parfois purement liturgique. Les Babyloniens ont une confession analogue, où il est question d’adultère, d’homicide, de vol, d’autres fautes contre la morale ou la liturgie, mais sans allusion aux actes intimes de la conscience. Cf. Zimmern, Beiträge zur Kenntniss der babylonischen Religion, Leipzig, 1901, Surpu, ii, l. 47-51 ; Lagrange, Etudes sur les religions sémitiques, Paris, 1905, p. 225, 226 ; Revue biblique, 1906, p. 657. Cf. Ézéchiel, xviii, 14-17. Autrement significative est la confession qui se lit dans Job, xxxi, 4-37. L’auteur y énumère les principales fautes contre la morale qui se pouvaient commettre dans son milieu. Mais il y joint ici et là des remarques comme celles-ci :

Dieu ne connaît-il pas mes voies,
Ne compte-t-il pas tous mes pas ?
Si mon cœur a suivi mes yeux…
Si j’ai mis dans l’or mon assurance…
Si, en voyant le soleil jeter ses feux,
Et la lune s’avancer dans sa splendeur,
Mon cœur s’est laisse séduire en secret…
Si j’ai été joyeux de la ruine de mon ennemi…
Si j’ai, comme font les hommes, déguisé mes fautes,
Et renfermé mes iniquités dans mon sein…

2. En effet, la conscience morale, telle que la suppose la religion du vrai Dieu, obéit à cette règle posée à Abraham : « Marche devant ma face et sois irréprochable. » Gen., xvii, 1. C’est devant la face du Seigneur, sous son regard auquel rien n’échappe, qu’on est coupable ou irréprochable, et, si l’on est coupable, c’est tout d’abord dans l’âme elle-même que le péché existe.

Dieu, tu connais ma folie,
Et mes fautes ne te sont pas cachées. Ps. lxix. (lxviii), 6.

Cf. Ps. x, 15 ; Eccli., xv, 21.

3. Le péché outrage toujours Dieu, alors même qu’il semble viser exclusivement le prochain. Num., v, 6.

Je reconnais mes transgressions,
Et mon péché est constamment devant moi ;
C’est contre toi seul que j’ai péché,
J’ai fait ce qui est mal à tes yeux,

dit le Psalmiste, Ps. li (l), 5-6, avouant que ses transgressions de toute nature ont avant tout offensé Dieu. De même le prodigue, qui a tant outragé son père, se reconnaît coupable contre lui, mais avant tout « contre le ciel ». Luc, xv, 18. « En péchant contre vos frères et en violentant leur conscience encore faible, vous péchez contre le Christ, » dit saint Paul. I Cor., viii, 12.

4. Le péché est un acte par lequel l’homme s’écarte et s’éloigne de Dieu, en mettant sa volonté en opposition avec celle de Dieu, connue soit par la conscience, soit par la loi positive, qui rend mauvais des actes qui ne le seraient pas toujours par eux-mêmes. Rom., iii, 20 ; vii, 7, « Être infidèles à Jéhovah et le renier, nous retirer loin de notre Dieu, » voilà comment Isaïe, lix, 13, caractérise le péché. Cette idée d’éloignement de Dieu par le péché revient souvent. Deut., xi, 16 ; xxxii, 15 ; Jos., xxii, 16 ; Job, xxi, 14 ; xxii, 17 ; Sap., iii, 10 ; Bar., iii, 8 ; Dan., ix, 5, 9, etc. En conséquence, la sagesse qui vient de Dieu ne peut habiter dans un être soumis au péché, Sap., i, 4, et cet être, ainsi séparé de Dieu, ne peut manquer d’agir parfois par l’inspiration du démon, I Joa., iii, 8, et d’en faire les œuvres, qui sont des œuvres de péché. Joa., viii, 41. Si Dieu hait tant le péché, Ps. v, 5, 7, c’est parce qu’il y voit nécessairement un attentat contre sa souveraineté inaliénable.

5. Saint Jacques, ii, 10, dit que « quiconque aura observé toute la loi, s’il vient à faillir en un seul point, est coupable de tous ». Ce texte fait l’objet d’une consultation adressée à saint Jérôme par saint Augustin, Ep. cxxxi, t. xxii, col. 1138-1147. Ce dernier propose sa solution en ces termes, col. 1145 : « Celui qui transgresse un précepte est coupable envers tous, parce qu’il agit contre la charité de laquelle dépend toute la loi. Il est coupable de tout parce qu’il agit contre celle dont tout dépend. » Saint Jérôme, Ep. cxxxiv, t. xxii, col. 1161, s’excuse de ne pas répondre et dit qu’il n’a rien à reprendre à la solution proposée. Saint Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxxiii, a. 1, adum iii, explique que l’Apôtre parle ici des péchés, non par rapport à l’objet vers lequel ils portent et qui est variable, mais par rapport à celui dont ils détournent et qui est toujours Dieu. Tout péché comporte le mépris de Dieu. Quand on faillit en un point on est coupable de tous en ce sens qu’on encourt le châtiment que mérite le mépris de Dieu, mépris et châtiment communs à tous les péchés. Les péchés demeurent donc distincts, bien que le principe et les conséquences de tous soient les mêmes, et l’on peut en commettre un sans commettre les autres. La pensée de saint Jacques revient à ceci que, quand on transgresse un commandement, on est ἔνοχος, passible de la peine qui châtie toutes les autres transgressions, non en quantité, mais en qualité, car dans tous les cas, c’est l’auteur même des lois qui est offensé et qui est obligé de sévir.

6. Tous les péchés ne sont pas mis sur le même rang dans la Sainte Écriture, bien que tous supposent l’opposition de la volonté de l’homme avec celle de Dieu. Il y a des péchés plus particulièrement graves, l’adultère, Gen., xx, 9 ; xxvi, 10 ; l’apostasie, Exod., xxxii, 21 ; la profanation du sacerdoce et le scandale, I Reg., ii, 17 ; l’idolâtrie, Jer., xix, 11 ; le péché contre le Saint-Esprit, Matth., xii, 31 ; Marc, iii, 28 ; la trahison du Fils de Dieu, Joa., xix, 11, etc. Notre-Seigneur note lui-même une gradation entre cer, tains péchés contre la charité. Matth., v, 22. Il y a des péchés qui sont commis par ignorance, sans pleine conscience ou sans volonté complète. Lev., iv, 2, 27 ; v, 17 ; Num., xv, 27, etc. Saint Paul s’excuse sur son ignorance des persécutions qu’il a exercées contre les chrétiens. I Tim., i, 13. Mais, dans la Sainte-Écriture, on ne trouve pas mention de ces culpabilités inconscientes et fatales, s’attachant inéluctablement à des êtres qui n’ont rien fait pour les encourir, ainsi que cela se rencontre dans les religions païennes, ni de ces fautes commises sans connaissance et sans volonté dont les idolâtres se croyaient si fréquemment coupables dans le culte de leurs dieux, par l’omission de formalités insignifiantes ou puériles.

7. Puisque rien n’échappe aux regards de Dieu et que Dieu hait le péché, la conséquence s’impose : « Tous les jours de ta vie, aie Dieu présent à ta pensée, et garde-toi de consentir jamais au péché. » Tob., iv, 6 ; cf. i, 10.

Fuis le péché comme le serpent,
Car, si tu en approches, il te mordra. Eccli., xxi, 2.

Et pour déterminer sa volonté à s’éloigner du mal, l’homme doit songer à la fin de sa vie et au compte qu’il devra rendre à Dieu, Eccli., vii, 40, sans se laisser tromper par les charmes du présent ni par la patience divine, car

La voie des pécheurs est pavée de pierres,
Mais à son extrémité est l’abîme de l’Hadès. Eccli., xxi, 11.