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DICTIONNAIRE DE LA CONVERSATION ET DE LA LECTURE. BÉRAAGER (Pierre-Jeam de), poète national, est aéà Pans, le 19 août 1780. Panard s’enivrart et s’endormait à table, mais le vin et le sommeil lui donnaient des inspirations; et si on l’éveillait pour lui demander des couplets, il en produisait de cliar- luants , comme un arbre dont on agite les brandies laisse tomber les fruits mûrs qu’il porte dans la saison de sa fécon- dité. La table et le vin inspiraient également un épicurien qui n’était pas sans quelque ressemblance avec le La Fon- taine de la cbanson : en supprimant les bons repas à D é- saugiers, vous auriez supprimé sa muse; le jour où les bouteilles de Champagne et les tonneaux de Bourgogne eus- sent été réduits pour elle à la lie, vous l’auriez vue sortir «ic chez son hôte comme la courtisane infidèle dont parle Ho- race. Le vin ne fait pas ainsi le génie de Béranger : convive délicat, il s’humecte à petits coups, et ne trouve pas ses vers à force de rasades. Quand Béranger chante sur le ton de Pa- naid , vous ne trouvez point en lui cet abandon de l’ivresse, qui était une espèce de muse pour l’auteur de La grande et la petite Mesure ; mais sa franche et libre gaieté éclate sous la direction cachée d’une raison qui ne sommeille jamais. Cette raison habite plus haut que celle de Panard ; l’horizon des idées s’est beaucoup étendu devant elle ; ses tableaux tien- nent de la grandeur des sujets dont ils nous représentent l’image. Ainsi, deux seuls couplets de la chanson intitulée Le Aouveau Diogène sufûsent pour nous apprendre que la liberté est venue visiter la France , et qu’il existe un con- grès de rois qui , au lieu de se faire représenter par des ministres, ont voulu régler eux-mêmes les destinées de l’Europe. Puisque j’ai prononcé le nom de Diogène, je ne dois pas taire que je crois voir en notre Béranger quelque chose de ce philosophe, orgueilleux de sa pauvreté indépendante, ne demandant au plus puissant des rois que de ne pas lui ôfer son soleil, et occupé toute sa ^^e à regarder dans le Ctt’ur de riiomme avec une curiosité d’observateur satirique. Aussi , les plus fortes saillies de Béranger sont encore des peintures de mœurs ou même de hautes leçons. Dans le nombre des premières , on peut compter le Sénateur, qui dérida le front sévère de Napoléon au temps de ses plus grands embarras. Dans la catégorie des secondes, il faut ranger le Roi d’Yvetot, censure aussi vive que généreuse et gaie du conquérant qui donnait alors des lois à l’Europe. Seul , au milieu de cette Europe qui se taisait devant un autre Cyriis ou un autre Alexandre, un simple chansonnier, DICT. DE L C0V. — T. «I. commis dans un bureau du gouvernement, osa faire la cri- tique du prince guerrier. La nation entière applaudit à la plaisanterie charmante et philosophique du Roi d’ Yvetot. Le vainqueur de Darius, dans un premier accès d’emportement, aurait pu envoyer aux carrières le poète capable d’une telle témérité; Napoléon lui-même se prit plus d’une fois à fre- donner la naïve satire, mais il ne profita pas de la leçon qu’elle contenait. C’est par la chanson du Roi d’Yvetot que la France fit connaissance avec Béranger. La gaieté de Béranger, moins vive et moins communica- tive que celle de Panard et de Désaugiers , ressemble au comique de Molière, souvent si sérieux quand il nous fait rire de nous-mêmes et des autres ; mais , comme le con- templateur, il a pensé au peuple et à tant de gens comme il faut qui sont peuple aussi. Le Petit homme gris, La Mère aveugle. Le Voisin, sont des farces que Béranger nous donne après de graves comédies. Le rigorisme a repris dans ces tableaux à la Téniers des traits qui vont jusqu’à la li- cence, mais la cour du plus majestueux acteur de la royauté que l’on ait vu sur le trône passait à Molière bien des liber- tés que notre pruderie de nouvelle date repousserait aujour- d’hui, sans qu’on puisse inférer justement de ce scrupule que nos mœurs soient préférables à celles de nos devanciers. Avouons toutefois qu’il serait à souhaiter, malgré la verve et la poésie dont elles brillent , que certaines chansons, em- preintes d’une hberté vraiment cynique , ne figurassent pas parmi les belles et morales composi t ions de Béranger ; du moins faudrait-il qu’elles fussent imprimées dans un volume à part. Béranger laisserait encore un nom, même quand il ne serait que le rival des Panard et des C o 1 1 é ; mais il y a plus en lui quun membre de cet ancien Caveau , si bien sur- nommé l’académie du plaisir par AL Etienne. Né pour ainsi dire avec une époque qui fit plus pour les progrès et le bonheur du monde que toutes les autres époques de la ci- vilisation, sevré du lait des écoles, mais aussi préservé des eireurs qu’elles enseignent avec les bonnes doctrines , il a formé sa raison à même les événements, et son talent a reçu d’eux cette empreinte originale, libre et forte, qui le caractérise. Nourri d’indépendance dans le sein de la pau- vreté, abreuvé de philosophie par Montaigne, Molière, La Fontaine, Voltaire et Rousseau, Béranger n’a point d’idole, point de fétiche, point de marotte; il ne sait baisser la fête devant aucun préjugé moral, politique ou littéraire; il ne recule devant aucune vérité. Au lieu de perdre son temps et son génie à essayer de ressusciter le passé , |)rclention ou