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SENS

le goût, l’odorat, la vue et l’ouïe. Sentir est le plus nohle attribut de l’animalité ; car les plantes , même celles qui manifestent quelques actes d’excitabilité à l’occasion d’un contact, d’un choc ou d’un attouchement, comme le feuillage de lasensitive, lesétamines de l’épine-vinette, ne sont pas sensibles apparemment au plaisir et à la douleur, comme paraissent l’être au contraire tous les animaux , jusque dans les classes les plus inférieures des zoophytes (voyez Amual). En effet , pour veiller à son existence, satisfaire aux nécessités de se nourrir, de se reproduire, l’animal avait besoin d’entrer en communication avec le monde extérieur, d’ouvrir des portes par lesquelles son moi intérieur pût apprendre à fuir le mal et à trouver l’utile ou son bien. La nature lui donna, outre des sens, un instinct primitif pour les diriger, ou même une intelligence élevée, comme un phare lumineux, dans l’homme, pour accomplir les plus importantes fonctions dévolues à son espèce. De là suit que chez la plupart des animaux les organes extérieurs des sens correspondent, par des cordons nerveux ou sensitifs, avec un ou plusieurs centres d’action ( cerveau , ganglions), soit afin de recevoir les impressions sensoriales externes et internes, de les coordonner entre elles, soit alin de transmettre ensuite à ces sens et aux membres les déterminations de la volonté ou de l’instinct , dans l’intérêt de la conservation de l’animal et de sa race.

11 y a beaucoup de variété dans le nombre et la disposition des organes sensoriaux du règne animal. Généralement le tact est le plus universel ; il ne manque jamais, et il doit être le fondement nécessaire de l’animalité, le premier qui donne à l’être le sentiment de son existence individuelle. Ensuite le goût, qui n’est qu’un tact plus intime , en quelque sorte chimique , paraît indispensable pour le choix des aliments ou pour rejeter ce qui est contraire à la nutrition. Il semble donc inhérent aussi à l’animalité. La vue ou vision est ensuite le sens réparti dans le plus grand nombre d’animaux ; elle manque toutefois chez les espèces dépourvues de sexe ou hermaphrodites, qui n’ont pas besoin de rechercher d’autres individus pour se reproduire (comme les conchifères , bivalves, annélides, les animaux rayonnes et zoophytes, etc.). L’oMie et Vodo7-at sont les sens qui manquent le plus souvent dans le règne animal (on sait que ce qu’on nomme ouïes, chez les poissons, est l’organe respiratoire ou les branchies). Mais comme nous remarquons le tact fort développé chez les races aveugles, de même plusieurs animaux présentent parfois une supériorité de certains sens sur d’autres. Ainsi, les espèces nocturnes ou nyctalopes, voyant de nuit, presque aveuglés par la lumière du jour, trop éclatante pour la sensibilité de leur rétine, ont souvent l’ouie très-fine. La plupart des carnassiers présentent un odorat très-exalté, comme le chien et d’autres espèces chasseresses. On dit qu’il en est ainsi des vautours et des corbeaux. Cependant, la vue prédomine chez les oiseaux, surtout dans ceux de haut vol , qui ont besoin d’yeux presbytes pour découvrir de très-loin leur proie ; puis cette longue vue est susceptible de se raccourcir ou de se proportionner aux objets plus voisins. Les poissons voyageurs, et généralement tous les animaux à locomotion rapide , devaient avoir une vue très-étendue. 11 n’y a plus de paupières dans les poissons et dans toutes les classes inférieures ayant des yeux. Les oiseaux munis d’un bec corné, ainsi que leur langue, paraissent peu sensibles au goût ; toutefois, ils perçoivent les saveurs à l’arnère-bouche, comme les animaux puceurs, les insectes , les parasites, etc. La vue est perçante chez plusieurs reptiles, les crocodiles, les sauriens nocturnes. Ils possèdent, comme les oiseaux de nuit, autour de leur cornée un cercle de lames osseuses capable de se resserrer et de se dilater à la volonté de l’animal, pour allonger ou raccourcir le globe oculaire, afin d’opérer, comme dans les lunettes à longue vue, un champ visuel variable selon les distances des objets. L’œil des cétacés est intermédiaire entre celui des mammifères et celui des poissons. J^s insectes , ayant des yeux fixes, immobiles sur leur léte, devaient obtenir ces organes à cornées multiples on à facettes (outre les yeux supplémentaires, stemmala), afin d’apercevoir de tous côtés les objets sans se mouvoir ; de même, le caméléon a la faculté de tourner chaque œil à volonté en un sens autre que celui du côté opposé.

Chaque espèce possède ainsi, dans la disposition de ses sens et leur intensité , les attributions les plus favorables au genre de vie qui lui a été dévolu ; car les races souterraines sont aveugles, les nocturnes ont l’ouïe fine, les espèces rapaces un odorat subtil , les espèces lentes , comme les tortues, sont revêtues de carapaces, de tests, de coquilles, etc., pour garantir leur tact , exposé aux chocs douloureux , etc. D’autres retirent leurs tentacules , qui se ferment ou s’épanouissent au besoin. Ainsi, les sens ont leur obturation et leur exaltation dans les chats , les squales, les seiches, dont les yeux luisent de nuit , etc. En effet , les sens peuvent acquérir divers degrés de sensibilité. Personne n’ignore qu’en habituant ses yeux à une longue obscurité, comme dans les cavernes ou les cachots, ils finissent par s’accoutumer aux ténèbres et apercevoir les objets environnants à la plus faible lueur ; puis le grand jour soudain les aveugle, les éblouit en les inondant de ses rayons. C’est que la sensibilité de la rétine, non épuisée dans cette obscurité, accumule en excès sa faculté de voir. De même , par suite de l’usage d’aliments fades , insipides, le goût acquiert une vive impressionnabilité à des saveurs légères , qui ne frappent plus un palais blasé par le poivre, les épices, l’alcool, etc. Donc, le moyen d’exalter la sensibilité d’un sens, de tout organe, est d’en user le moins possible , sans toutefois le laisser engourdir dans une complète inaction. C’est pour cela que la jeunesse, neuve de sensibilité et inaccoutumée, aspire si avidement, si ardemment à toute impression ; les douleurs même ne sont pas toujours pour elle de trop vives souffrances, dans la guerre , la chasse, les fatigues, etc. Mais la vieillesse, par tous les actes répétés de sa vie, semble avoir épuisé la coupe des plaisirs et peut-être aussi celle des peines. Ses nerfs sont devenus calleux , inertes , ses sens amortis. Le moyen de rester longtemps jeune et sensible consiste à ménager ainsi toutes ses sensations pour l’arrière-saison de notre existence. Qui dit vie courte et bonne se prépare de longs regrets , à moins qu’il n’abrège ses jours et ne cesse de vivre quand il cessera de jouir.

Pour que les sens aperçoivent les objets ou leurs impressions, il ne suffit pas qu’ils soient mécaniquement frappés, ébranlés, il faut encore qu’ils soient attentifs, comme l’a fait remarquer La Romiguière, car toute distraction plus ou moins forte, l’état de sommeil par exemple, des souffrances aiguës, des méditations laborieuses, empêchent de sentir ces impressions. Pareillement , les impressions sur une partie d’animal séparée récemment du corps vivant, comme les cuisses de grenouilles, y exciteront sans doute des contractions ; néanmoins, toute correspondance avec le cerveau étant tranchée , il ne peut y avoir de sensation*, non plus que dans le tronc d’un supplicié décapité ; la fêle seule, dans ce dernier cas, pourrait ressentir de la douleur, ainsi qu’en témoigna celle de Charlotte Corday souifletée parle bourreau. Ce sont donc les cordons nerveux qui transmettent l’impression pour qu’elle soit perçue ; car la paralysie , la compression des nerfs , arrêtent cette communication comme elles s’opposent à tout acte volontaire. En considérant l’organisme humain, le plus sensible de tout le règne animal , il présente comme la lyre normale ou le module du diapason général de la sensibilité. Ainsi, le senxori’um commun est situé au sommet, à l’organe encéplialique ; après vient l’œil , le sens le plus étendu, puisqu’il perce jusqu’aux astres ; ensuite l’oreille, qui peut entendre des bruits de plusieurs lieues. Ces deux sens, les plus intellectuels aussi, possèdent seuls l’appréciation du beau dans les arts (peinture, mimique, architecture, etc., pour la vue ; musique, poésie, éloquence, etc., pour l’oreille). Viennent ensuite les sens plus appropriés aux voluptés sensuelles : l’odorat , qui s’applique , chez les animaux prin-