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des traits et des touches de couleur appliquées sur l’argile 1[1]. On se demandera si le pinceau fin, composé d’un brin unique, qui servait aux potiers à tracer leurs admirables lignes ténues 2[2], était en usage chez les peintres ? Nous ne pouvons l’affirmer, mais l’anecdote d’Apelle et de Protogène, rivalisant à qui exécuterait la ligne la plus fine 3[3], montre bien que la virtuosité de ces

Fig. 5648. – Peintre de vases.


maîtres s’exerçait au même genre de difficultés. Nous pouvons croire aussi que le pinceau était manié par eux comme on le voit sur quelques vases 4[4] (fig. 5648), non pas du bout des doigts, mais en tenant la hampe à poignée, à la manière des Japonais 5[5].

Dans l’exécution, les peintures de vases nous font encore assister à tous les progrès qui furent réalisés au cours du VIe et du Ve siècle pour rendre les aspects divers de la structure humaine. La science des raccourcis occupa plusieurs générations, et la
Fig. 5649. – Tête de Philoctète blessé.
découverte de Cimon de Cléones ne fut que le point de départ de longues recherches. On suit d’années en années sur les vases peints les perfectionnements apportés au dessin de l’œil pour le mettre de profil, à l’oreille pour en détailler les cartilages, aux jambes et aux pieds pour les représenter de face ou vus par derrière ou par en dessous, les études de dos, les visages de trois quarts remplaçant les visages de face 6[6], attitude plus favorable aux jeux de physionomie qu’avaient fait naître les imitations de Polygnote (fig. 5649) 7[7]. Enfin le modelé et le clair-obscur, dernière et suprême conquête de l’art, inconnue aux civilisations antérieures, trouvent aussi un éclaircissement dans le décor des vases. Nous y voyons que la révolution mise sous le


nom d’Apollodore, le skiagraphos 8[8], fut préparée dès le commencement du Ve siècle et que sur certaines œuvres contemporaines des guerres médiques apparaissent déjà des hachures parallèles qui rendent la complexité des objets 9[9]. Plus tard, dans les vases à fond blanc, ce sont les plissements et les gonflements d’une étoffe, les rondeurs d’un cou ou d’une poitrine de femme, les bras et les torses nus des hommes qui sont ainsi modelés (fig. 5659) 10[10] ; à la même époque les lois de la perspective, étudiées par Apollodore, Agatharque et leurs contemporains, aident à établir d’une façon plus complexe les formes fuyantes des objets 11[11]. Sur tous les points c’est

Fig. 5650. – Peinture d’un lécythe funéraire attique.


un continuel et obstiné labeur pour aboutir à la création du dessin tel que nous le pratiquons aujourd’hui, et l’on peut, en somme, dater de cette période grecque tout le fonds de science picturale sur lequel nous vivons.

On a vu plus haut que les maîtres anciens ne servaient que de quatre couleurs 12[12] : le blanc (terre de Mélos), le jaune (sil attique), le rouge (sinopis pontique) et le noir (noir de fumée additionné d’une matière agglutinante) 13[13]. Telles étaient les seules ressources dont disposait Polygnote : mais il faut tenir compte des effets variés qu’il obtenait par le mélange des tons 14[14], et ne pas exclure de sa palette le bleu, ou un certain bleu, qu’il produisait avec du noir : Pline parle d’un atramentum qu’il fabriquait avec de la lie de vin séchée et cuite, et qui avait le ton de l’indigo 15[15]. Pendant tout le Ve siècle la peinture eut cette simplicité de coloris, mais au siècle suivant, le coloris se compliqua, grâce à l’industrieuse curiosité d’Apelle, de Protogène et de leurs contemporains 16[16], et c’est sans doute à cette période qu’il faut rapporter le soin particulier mis à rendre avec toutes ses nuances la couleur de chair (άνδρείκελον) 17[17].

  1. 1 Pottier, Catal, p. 668.
  2. 2 Ibid. p. 609.
  3. 3 Plin. Hist. nat. XXXV, 81 (11).
  4. 4 Rayet-Collignon, Céram. gr. fig. 1 ; Hartwig dans Jahrb. 1899, pl. IV, p. 154 ; Pottier, Douris, p. 13, fig. 2 ; p. 56, 123, fig. 25 ; Furtwängler-Reichhold, Griech. Vasenmal. p. 149, fig. 13.
  5. 5 Cf. Gazette des Beaux-Arts, 1890, II, p. 106, 107, 111.
  6. 6 Pottier, Catal. p. 845 sq., 854 sq.
  7. 7 Vase du Louvre, Mon. Dell’Inst. VI, pl. VIII.
  8. 8 Sur Apollodore et les différentes étapes du clair-ohseur, voir M. Collignon dans Mém. et mon. Piot, XII, p. 17 sq.
  9. 9 Pottier, Ibid. II, p. 46 ; Collignon, Ibid. XII. p. 48.
  10. 10 Pottier, L. c. p. 47 ; Collignon, L. c. p. 41. La figure 5650 est faite d’après une photographie du lécythe de Berlin publié par Winter ; cf. P. Girard, Peint. ant. p. 215, 217, fig. 122, 123.
  11. 11 Collignon, L. c. p. 36, 37 et fig. 3, p. 39 et n. 1.
  12. 12 Cic. Brut. XVIII, 70.
  13. 13 Plin. Hist. nat. XXXV, 50.
  14. 14 Lucien. Imag, 7.
  15. 15 Plin, Hist. nat. XXXV, 42. Κύανοζ, dit Eustathe, είδόζ τι χρώματοζ μέλανοζ. Et il ajoute : Χρώμα σύρανού άνεφέλου (cité par W. Schultz, Das Farbenemp findunssystem der Hellenen, p. 34).
  16. 16 Cic. Brut. XVIII, 70 : In Actione Nicomacho, Protogene, Apelle jam perfecta sunt omnia ; cf. P. Girard, Peint. ant. p. 257. Voir en particulier, sur la technique d’Apelle, Six dans Jahrb. 1905, p. 169 sq.
  17. 17. Plat. Cratyl. p. 424 E. Cic. De nat. deor. I, 27, 75 ; cf. sur les couleurs et le coloris des peintres en général, H. Blümner, Technol. und Terminol. der Gew. und Künste, IV, p. 1, 64-518 ; E. Bertrand, Etudes sur la peinture et la critique d’art dans l’antiquité, chap. III (p. 121. sq.)