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Pour éviter les partis pris que de telles systématisations imposent, il convient mieux d’examiner successivement Héphaistos selon ses rôles les plus apparents.

A. Héphaistos feu terrestre. — C’est en Lycie el à Lemnos que l’on peut constater les formes les plus orignales et les plus développées du culte : en ces deux endroits Héphaistos est en relation directe avec le feu terrestre.

Ce sont deux indices précis et importants, qui engagent à chercher là les origines. Les textes n’y contre- disent point. Sophocle comme Antimachos appellent « produit d’Héphaistos » le feu lemnien ’. Quand un dieu et un élément sont si proches l’un de l’autre, on doit être amené naturellement à penser que l’élément est le soutien substantiel de la divinité, en même temps que sa manifestation symbolique extérieure-. La (lamme du sol, allumée par un dégagement de gaz et changeante à la manière des feux follets que redoute encore la super- stition campagnarde, donna, ce semble, naissance à la croyance en un démon vivant ; avide de merveilleux, l’esprit humain primitif fit ainsi du feu une puissance animée ’. On a justement rapproché le culte moderne des adorateurs de la flamme sacrée, à Surakhani, près de Bakou : ainsi qu’en Lycie, en cet endroit, le dégage- ment de gaz produit de petites fosses enflammées, çà el là, laissant aux enlours l’herbe intacte ; ainsi qu’en Lycie, il y a, dans la péninsule d’.pscharon, un temple près du feu ’ ; une légende indique la présence d’un démon dans la fournaise mystérieuse ° ; dans le temple même se manifeste le feu, le gaz souterrain étant amené par un tuyautage en roseaux jusqu’à l’autel, point cen- tral du culte ^ Il est impossible de ne pas songer ici au texte du Lemnien Philostrale, décrivant la cérémo- nie du renouvellement du feu dans l’île d’Héphaistos. C’est seulement la forme la plus tardive de la légende, iniluencée par des changements politiques, qui fait venir le feu de Délos ; il est bien évident que, primitivement, la flamme purificatrice était prise sur le Mosychlos ’.

A mesure que le démon de la flamme terrestre s’éloigna de son pays d’origine et fut plus célébré, en Asie comme en Grèce, le rapport originel avec l’élément naturel dut

p. 1304 sq. ; Fredrich, Athen. ilitt. 1906, l. /. ; P. JacobsUhl, Der DHlz, etc. Spécimen de ces explications : le dieu boitein rappelle le mouvement vacillant de la flamme ou les zigzags de la foudre (Decharme, p. IC3) ; le rovthe de la chute et te séjour chez Thétis symbolisent le phénomène des volcans insulaires, ibid. p. 164 ; la délivrance d’Héra enchaînée, l’enivrement par l’office de Dionysos sont des allu- sions, tantôt au << mouvement des orages dont la foudre est un élément *, tantôt aui cultures de vignes faites en terrains volcanifjues. ihid. p. 10^-5, etc. Il est clair que de telles exégèses ne peuvent être toujourscohérenles. — • Cf. notes 25 et :i6, p.987, , C. Fredrich, Athen. ilitt. XXXI (1906), p. 74 sq., considère l’H. lemnien comme une divinité du feu. — 2 Malien, Arch. Jahrb. l. l. p. i46 sq. — 3 Maltcn, (. l. p. i4T, rapprochant un phénomène naturel (apparition de feu terrestre) survenu récemment à Neuengamme, trouve là un commentaire du passage de Maximos de Tyr sur le feu lycien : « xaX tirttv «jtoï ; tô ^Z^ to3to xa’. îesbv xa : aYa>,jAa n. La rareté des représentations d’H. s’expliquerait peut-être par ce fait que le feu lui- même était dieu. — 4 Revue Petroleum^ I (19U6), p. 592 sq. avec une description du culte de Bakou. — » Cf. le récit fait à De Lerch par un prêtre de l’endroit, rapporté par Malten, /. (. p. 247, selon Vogel. Revue Petroleum. V, I9C9-I0, p. 379 : " Le diable reçoit de Dieu, après des années de domination, l’ordre de se jeter dans la fosse enflammée : le feu allumé par Dieu continue de brûler entretenu par la L’raisse du diable » . Cf. les rapports de Lucifer, diable boiteux, précipité du ciel, avec H. jeté hors de l’Olympe ; par bien des côtés. H., l’artisan malin, est le précurseur du diable de la mythologie chrétienne. — C Le récit utilisé par Malten, t. L p. 247, note l’effet produit sur l’imagination des fidèles par l’apparition de ce feu blafard ; cf. A. Beebv Thompson, The oit fields of Russia, Loodon, 1904, p. 90. C’est en 1879 que le culte du feu de Bakou fut tué par l’accroissement des raffi- neries de pétrole ; L’hlig, O’ber dm Vorkommen und die Entstehunij des Erdrils, Berlin, ISH, p. 13. L’n seul adorateur du feu a subsisté, parait-il, qui reproduit, à l»occasion, la cérémonie cultuelle devant les voyageurs ; cf. Ch. Marvin, Theretjion of the etemat fire, London, 1884, p. 170 sq., 176 ; ÎVôldeke, Vorkommen und 6"r-

se relâcher. On retrouvait simplement Héphaistos dans toute flamme, sans qu’il y eût nécessairement émanation du sol ’ : ainsi a pu se propager le culte, dans tant de villes daatoliennes, el il est probable que les Grecs n’ont guère ’connu Héphaistos sous son aspect le plus primitif. Encore la littérature identifie-t-elle le dieu, jusqu’à l’époque la plus tardive, avec l’élément enflammé ; ce n’est pas tant là un emploi métaphorique du nom, que le souvenir el comme la survivance du rapport originel ’. La preuve des relations d’Héphaistos avec le feu terrestre doit avoir pour effet de faire renoncer aux hypothèses sur l’Héphaislos éclair el feu céleste, hypothèses qui sont encore traditionnelles, et qui se trouvent assez souvent mélangées à des constatations partielles sur le rapport plus profond établi dès les ori-

lines entre le dieu el le feu souterrain. Les deux sys- times d’exégèse ne sont pas cohérents ; il semble bien que l’explication par le feu céleste, malgré l’avis de M . de Wilamowitz, ne puisse plus aujourd’hui être considérée comme principale ni suffisante’". C’est le rapport avec le feu terrestre d’abord, puis avec la flamme, qui devra fournir l’explication des diverses légendes, guider

lans l’étude des origines du dieu. On ne s’arrê- .era pas, en efl’el, à l’objection qui pourrait être tirée le quelques passages de la poésie épique, où Héphaistos est transporté avec sa forge sur le mont Olympe". Le cas est le même que pour Déméter, qui, elle aussi, déesse terrestre, monta au ciel. Encore convient-il de remarquer que ce qui était de caractère divin chez Héphaistos se perdit un peu dans celte transmigration ; dans la troupe des Immortels, Héphaistos est le pâvauaoç, celui qui, dès sa naissance, excite par sa laideur un rire insultant ; c’est l’artisan bouffon. Deux légendes caractéristiques, dans la poésie épique elle-même, témoignent d’ailleurs de ce caractère étranger d’Héphaistos. Suivant la pre- mière, il est précipité du ciel à Lemnos’^ par Zeus, ou dans les flots par sa propre mère, après l’enfantement. Suivant la seconde tradition, il apprend alors à travail- ler, au fond de l’océan, dans une grotte, oii il est protégé par Thélis et Ettrynomé ". Or il n’est pas impossible, comme on l’a dit, qu’Eurynomé, la déesse « au pouvoir

>prun ; des Pelroletims, Celle, 1883, p. 5, 12. — i Cf. ci-dessus, p. 992, notes 8-9. Pour Malten, Beph. p. 328, les Otoî /ôôwiot xa «pçïixot invoqués pendant la période de neuf jours sont les Cahtres et H. Sur les sources de naphte cf. une digression de Malten, Arch. Jahrb. l. l. p. 249-250. Elles sont dans la région de l’Kuphrale el du Tigre (Adiabène) ; c’est là qu’Arrien place les •Hoc’otou vii»». (Steph. Byzant. s. v.), qu’il faut chercher au long du cours des deux fleuves. Ce sont ces sources qui auraient excité l’admiration d’Alexandre pendant sa marche à travers la Babylonie. Sur les cérémonies cultuelles célébrées auprès des sources de naphte, cf. Brandt, Petroleum, ils history, p. o ; cf. Malten, p. 249, note 4. — 8 Cf. les exemples rapportés par Malten, Arch. Jahrb. l. l. p. 250, où H. est considère comme une personne, comme le Seigneur du feu ; dans l’épopée, lliad. XXI,

330 sq.. H. combattant le dieu fluvial Xanlhos (lutte des éléments feu et eau} ; pen- dant l’incendie d’une maison, dans Huripid. Phaet. Nauck 2, fragment 781, H. est imploré comme capable de maîtriser son élément. — 9 Les exemples caractéristiques sont cités par .Malten, Heph. p. 329. Dans V lliad. XXI, 358, le dieu apparaît «f ?t ç-*i~se».. Sur la (lamme des autels dite .’Ai ; •HaaJ.rioio, cf. lUad. iX, 408 ; XVH, 88 ; XXHI, 33 ; Odyss. XXIV, 71. Liste d’exemples d’emploi métaphorique du nom H. au sens de feu, Malten, l. t. p. 329. On notera le passage d’Aristot. MeleO’ roi. II, 9, 369 a, 32, sur l’expression qui nomme la flamme « rire d’Héphaistos >» ; cf. Decharme, ilijlhol. p. 162, note 5, avec rapprochements sur l’assimilation du tonnerre à un rire, dans le folk-Iorc international. — ’0 L. l. 227, 239 ; il n’est que juste de reconnaître que c’est Malten qui a le premier insisté sur le rapport le plus sérieusement fondé (11. feu terrestre). — " lliad. I, 571 sq. ; VIII, 266 sc|.

331 ; XVIII, 142 sq. — 12 lliad. I, 593. — 13 lltad. XVIH, 398. De même Aie, observe Malten, Arch. Jahrb. l. l. p. 260, qui KaT’àvSo.7.v iiçiaxa ?aîvei, XIX, 93, n’appartient pas au monde des dieux ; Zeus la lance du haut de l’Olympe, XIX, 128 sq. — 1* Thétis seule est nommée dans VHymn. A/ioll. 319 ; l’nymne suit aussi la tradition homérique à propos de la généalogie (H. fil» de Zeus cl d’Héra), cf. vers 306-311 ; 343.327.