Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/209

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Jacques.

Tenez, mon maître, je devine, au coin de votre lèvre droite qui se relève, et à votre narine gauche qui se crispe, qu’il vaut autant que je fasse la chose de bonne grâce, que d’en être prié ; d’autant que je sens augmenter mon mal de gorge, que la suite de mes amours sera longue, et que je n’ai guère de courage que pour un ou deux petits contes.

Le maître.

Si Jacques voulait me faire un grand plaisir…

Jacques.

Comment s’y prendrait-il ?

Le maître.

Il débuterait par la perte de son pucelage. Veux-tu que je te le dise ? J’ai toujours été friand du récit de ce grand événement.

Jacques.

Et pourquoi, s’il vous plaît ?

Le maître.

C’est que de tous ceux du même genre, c’est le seul qui soit piquant ; les autres n’en sont que d’insipides et communes répétitions. De tous les péchés d’une jolie pénitente, je suis sûr que le confesseur n’est attentif qu’à celui-là.

Jacques.

Mon maître, mon maître, je vois que vous avez la tête corrompue, et qu’à votre agonie le diable pourrait bien se montrer à vous sous la même forme de parenthèse qu’à Ferragus[1].

Le maître.

Cela se peut. Mais tu fus déniaisé, je gage, par quelque vieille impudique de ton village ?

  1. L’auteur ne veut point ici parler du Ferragus de l’Arioste dans l’Orlando furioso, mais de celui que Forti-Guerra a introduit dans son Ricciardetto. Ce papelard devenu ermite y est indignement mutilé par la main de Renaud :

    Le traître avec un couteau de boucher
    M’a fait ennuque ........


    dit Ferragus avec douleur. À son agonie, le diable, qui le trouve de bonne prise, vient lui représenter l’instrument dont la jalousie avait armé la main de son ancien compagnon d’armes. (Br.)