Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/219

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— Je te la donne.

— Ta parole d’honneur ?

— Ma parole d’honneur.

— Tout est dit, et je m’en retourne… »

Comme mon parrain Bigre était sur le seuil, mon père, lui frappant doucement sur l’épaule, lui disait : Bigre, mon ami, il y a ici quelque anguille sous roche ; ton garçon et le mien sont deux futés matois ; et je crains bien qu’ils ne nous en aient donné d’une à garder aujourd’hui ; mais, avec le temps cela se découvrira. Adieu, compère.

Le maître.

Et quelle fut la fin de l’aventure entre Bigre ton ami et Justine ?

Jacques.

Comme elle devait être. Il se fâcha, elle se fâcha plus fort que lui ; elle pleura, il s’attendrit ; elle lui jura que j’étais le meilleur ami qu’il eût ; je lui jurai qu’elle était la plus honnête fille du village. Il nous crut, nous demanda pardon, nous en aima et nous en estima davantage tous deux. Et voilà le commencement, le milieu et la fin de la perte de mon pucelage. À présent, monsieur, je voudrais bien que vous m’apprissiez le but moral de cette impertinente histoire.

Le maître.

À mieux connaître les femmes.

Jacques.

Et vous aviez besoin de cette leçon ?

Le maître.

À mieux connaître les amis.

Jacques.

Et vous avez jamais cru qu’il y en eût un seul qui tînt rigueur à votre femme ou à votre fille, si elle s’était proposé sa défaite ?

Le maître.

À mieux connaître les pères et les enfants.

Jacques.

Allez, monsieur, ils ont été de tout temps, et seront à jamais, alternativement dupes les uns des autres.