Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/410

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avait épargnés, les yeux baignés de larmes, prosternés dans un temple, frappant la terre de leurs fronts, embrassaient, de la manière la plus suppliante, les autels du dieu : et j’entendis très-distinctement le dieu, ou peut-être[1] le fripon subalterne qui était derrière la toile, dire : « Qu’elle meure, ou qu’un autre meure pour elle ! »

Grimm.

Mais, mon ami, du train dont vous rêvez, savez-vous qu’un seul de vos rêves suffirait pour une galerie entière ?

Diderot.

Attendez, attendez, vous n’y êtes pas. J’étais dans une extrême impatience de connaître quelle serait la suite de cet oracle funeste, lorsque le temple s’ouvrit derechef à mes yeux. Le pavé en était couvert d’un grand tapis rouge, bordé d’une large frange d’or. Ce riche tapis et la frange retombaient au-dessous d’une longue marche, qui régnait tout le long de la façade. À droite, près de cette marche, il y avait un de ces grands vaisseaux de sacrifice destinés à recevoir le sang des victimes. De chaque côté de la partie du temple que je découvrais, deux grandes colonnes d’un marbre blanc et transparent semblaient en aller chercher la voûte. À droite, au pied de la colonne la plus avancée, on avait placé une urne de marbre noir, couverte en partie des linges propres aux cérémonies sanglantes. De l’autre côté de la même colonne, c’était un candélabre de la forme la plus noble ; il était si haut, que peu s’en fallait qu’il n’atteignît le chapiteau de la colonne. Dans l’intervalle des deux colonnes de l’autre côté, il y avait un grand autel ou trépied triangulaire, sur lequel le feu sacré était allumé. Je voyais la lueur rougeâtre des brasiers ardents ; et la fumée des parfums me dérobait une partie de la colonne intérieure. Voilà le théâtre d’une des plus terribles et des plus touchantes représentations qui se soient exécutées sur la toile de la caverne pendant ma vision.

Grimm.

Mais, dites-moi, mon ami, n’avez-vous confié votre rêve à personne ?

  1. Variante : … ou plutôt.