Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/409

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et craignaient de se trouver sur leur passage. Ils pouvaient mettre en pièces le téméraire qu’ils auraient rencontré, et je vis qu’ils le faisaient quelquefois. Eh bien ! mon ami, qu’en dites-vous ?

Grimm.

Je dis que voilà deux assez beaux tableaux, à peu près du même genre.

Diderot.

En voici un troisième d’un genre différent.

Le jeune prêtre qui conduisait ces furieuses était de la plus belle figure : je le remarquai ; et il me sembla, dans le cours de mon rêve, que, plongé dans une ivresse plus dangereuse que celle du vin, il s’adressait avec le visage, le geste et les discours les plus passionnés et les plus tendres, à une jeune fille dont il embrassait vainement les genoux et qui refusait de l’entendre.

Grimm.

Celui-ci, pour n’avoir que deux figures, n’en serait pas plus facile à faire.

Diderot.

Surtout s’il fallait leur donner l’expression forte et le caractère peu commun qu’elles avaient sur la toile de la caverne.

Tandis que ce prêtre sollicitait sa jeune inflexible, voilà que j’entends tout à coup, dans le fond des habitations, des cris, des ris, des hurlements, et que j’en vois sortir des pères, des mères, des femmes, des filles, des enfants. Les pères se précipitaient sur leurs filles, qui avaient perdu tout sentiment de pudeur ; les mères, sur leurs fils, qui les méconnaissaient ; les enfants des différents sexes mêlés, confondus, se roulaient à terre ; c’était un spectacle de joie extravagante, de licence effrénée, d’une ivresse et d’une fureur inconcevables. Ah ! si j’étais peintre ! J’ai encore tous ces visages-là présents à mon esprit.

Grimm.

Je connais un peu nos artistes ; et je vous jure qu’il n’y en a pas un seul en état d’ébaucher ce tableau.

Diderot.

Au milieu de ce tumulte, quelques vieillards, que l’épidémie