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de procurer du secours. Dans d’autres conjonctures, le même amour peut se changer en une espèce de frénésie ; la pitié, devenir faiblesse ; l’horreur de la mort, se convertir en lâcheté ; le mépris des dangers, en témérité ; la haine de la vie ou toute autre passion qui conduit à la destruction, en désespoir ou folie.


SECTION III.


Mais pour passer de cette bonté pure et simple, dont toute créature sensible est capable, à cette qualité qu’on appelle vertu, et qui convient ici-bas à l’homme seul ?

Dans toute créature capable de se former des notions exactes des choses, cette écorce des êtres dont les sens sont frappés, n’est pas l’unique objet de ses aiïections. Les actions elles-mêmes, les passions qui les ont produites, la commisération, l’affabilité, la reconnaissance et leurs antagonistes s’offrent bientôt à son esprit ; et ces familles ennemies, qui ne lui sont point étrangères, sont pour elle de nouveaux objets d’une tendresse ou d’une haine réfléchie.

Les sujets intellectuels et moraux agissent sur l’esprit à peu près de la même manière que les êtres organisés sur les sens. Les figures, les proportions, les mouvements et les couleurs de ceux-ci ne sont pas plutôt exposés à nos yeux, qu’il résulte, de l’arrangement et de l’économie de leurs parties, une beauté qui nous récrée, ou une difformité qui nous choque. Tel est aussi sur les esprits l’effet de la conduite et des actions humaines. La régularité et le désordre dans ces objets les affectent diversement ; et le jugement qu’ils en portent n’est pas moins nécessité que celui des sens.

L’entendement a ses yeux : les esprits entre eux se prêtent l’oreille ; ils aperçoivent des proportions ; ils sont sensibles à des accords ; ils mesurent, pour ainsi dire, les sentiments et les pensées. En un mot, ils ont leur critique à qui rien n’échappe. Les sens ne sont ni plus réellement ni plus vivement frappés, soit par les nombres de la musique, soit par les formes et les proportions des êtres corporels, que les esprits par la connaissance et le détail des affections. Ils distinguent, dans les caractères, douceur et dureté ; ils y démêlent l’agréable et le dégoûtant, le dissonant et l’harmonieux ; en un mot, ils y discernent