Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/139

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à peine, dans cette matière, aux idées de parties et de tout. On ignore entièrement l’effet que doivent produire une affection réprimée, un mauvais penchant négligé, ou quelque bonne inclination relâchée. Comment une seule action a-t-elle occasionné dans l’esprit une révolution capable de le priver de tout plaisir ? C’est ce qu’on voit arriver ; c’est ce qu’on ne comprend pas ; et, dans l’indifférence de s’en instruire, on est tout prêt à supposer qu’un homme peut violer sa foi, s’abandonner à des crimes qui ne lui sont point familiers, et se plonger dans les vices sans porter le trouble dans son âme, et sans s’exposer à des suites fatales à son bonheur.

On dit tous les jours : « Un tel a fait une bassesse ; mais en est-il moins heureux ? » Cependant, en parlant de ces hommes sombres et farouches, on dit encore : « Cet homme est son propre bourreau. » Une autre fois on conviendra « qu’il y a des passions, des humeurs, tel tempérament, capables d’empoisonner la condition la plus douce, et de rendre la créature malheureuse dans le sein de la prospérité. » Tous ces raisonnements contradictoires ne prouvent-ils pas suffisamment que nous n’avons pas l’habitude de traiter des sujets moraux, et que nos idées sont encore bien confuses sur cette matière ?

Si la constitution de l’esprit nous paraissait telle qu’elle est en effet ; si nous étions bien convaincus qu’il est impossible d’étouffer une affection raisonnable ou de nourrir un penchant vicieux, sans attirer sur nous une portion de cette misère extrême dont nous convenons que la dépravation complète est toujours accompagnée, ne reconnaîtrions-nous pas en même temps que, toute action injuste portant le désordre dans le tempérament ou augmentant celui qui y règne déjà, quiconque fait mal ou préjudicie à sa bonté, est plus fou, est plus cruel à lui-même que celui qui, sans égard pour sa santé, se nourrirait de mets empoisonnés ; ou qui, se déchirant le corps de ses propres mains, se plairait à se couvrir de blessures ?


SECTION III.


Nous avons fait voir que, dans l’animal, toute action qui ne part point de ses affections naturelles ou de ses passions, n’est point une action de l’animal. Ainsi, dans ces accès convulsifs où