Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/145

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Enfin, on peut dire que les affections sont, dans la constitution animale, ce que sont les cordes sur un instrument de musique. Les cordes ont beau garder entre elles les proportions requises, si la tension est trop grande, l’instrument est mal monté, et son harmonie est éteinte : mais si, tandis que les unes sont au ton qui convient, les autres ne sont pas montées en proportion, la lyre ou le luth est mal accordé, et l’on n’exécutera rien qui vaille. Les différents systèmes de créatures répondent aux différentes espèces d’instruments ; et dans le même genre d’instruments, ainsi que dans le même système de créatures, tous ne sont pas égaux, et ne portent pas les mêmes cordes. La tension qui convient à l’un briserait les cordes de l’autre, et peut-être l’instrument même. Le ton qui fait sortir toute l’harmonie de celui-ci, rend sourd ou fait crier celui-là. Entre les hommes, ceux qui ont le sentiment vif et délicat, ou que les plaisirs et les peines affectent aisément, doivent, pour le maintien de cette balance intérieure, sans laquelle la créature mal disposée à remplir ses fonctions troublerait le concert de la société, posséder les autres affections, telles que la douceur, la commisération, la tendresse et l’affabilité dans un degré fort élevé. Ceux, au contraire, qui sont froids, et dont le tempérament est placé sur un ton plus bas, n’ont pas besoin d’un accompagnement si marqué : aussi la nature ne les a-t-elle pas destinés ou à ressentir ou à exprimer les mouvements tendres et passionnés au même point que les précédents[1].

Il serait curieux de parcourir les différents tons des passions, les modes divers des affections, et toutes ces mesures de sentiments qui différencient les caractères entre eux. Point de sujet

  1. Nous ressemblons à de vrais instruments dont les passions sont les cordes. Dans le fou, elles sont trop hautes ; l’instrument crie : elles sont trop basses dans le stupide ; l’instrument est sourd. Un homme sans passions est donc un instrument dont on a coupé les cordes, ou qui n’en eut jamais. C’est ce qu’on a déjà dit. Mais il y a plus. Si quand un instrument est d’accord, vous en pincez une corde, le son qu’elle rend occasionne des frémissements, et dans les instruments voisins, si leurs cordes ont une tension proportionnellement harmonique avec la corde pincée ; et dans ses voisines, sur le même instrument, si elles gardent avec elle la même proportion. Image parfaite de l’affinité des rapports et de la conspiration mutuelle de certaines affections dans le même caractère, et des impressions gracieuses et du doux frémissement que les belles actions excitent dans les autres, Surtout lorsqu’ils sont vertueux. Cette comparaison pourrait être poussée bien loin, car le son excité est toujours analogue à celui qui l’excite. (Diderot.)