Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/207

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XXIII.

Le déiste assure l’existence d’un Dieu, l’immortalité de l’âme et ses suites : le sceptique n’est point décidé sur ces articles ; l’athée les nie. Le sceptique a donc, pour être vertueux, un motif de plus que l’athée, et quelque raison de moins que le déiste. Sans la crainte du législateur, la pente du tempérament et la connaissance des avantages actuels de la vertu, la probité de l’athée manquerait de fondement, et celle du sceptique serait fondée sur un peut-être.

XXIV.

Le scepticisme ne convient pas à tout le monde. Il suppose un examen profond et désintéressé : celui qui doute parce qu’il ne connaît pas les raisons de crédibilité n’est qu’un ignorant. Le vrai sceptique a compté et pesé les raisons. Mais ce n’est pas une petite affaire que de peser des raisonnements. Qui de nous en connaît exactement la valeur ? Qu’on apporte cent preuves de la même vérité, aucune ne manquera de partisans. Chaque esprit a son télescope. C’est un colosse à mes yeux que cette objection qui disparaît aux vôtres : vous trouvez légère une raison qui m’écrase. Si nous sommes divisés sur la valeur intrinsèque, comment nous accorderons-nous sur le poids relatif ? Dites-moi, combien faut-il de preuves morales pour contre-balancer une conclusion métaphysique ? Sont-ce mes lunettes qui pèchent ou les vôtres ? Si donc il est si difficile de peser des raisons, et s’il n’est point de questions qui n’en aient pour et contre, et presque toujours à égale mesure, pourquoi tranchons-nous si vite ? D’où nous vient ce ton si décidé ? N’avons-nous pas éprouvé cent fois que la suffisance dogmatique révolte ? « On me faict haïr les choses vraisemblables, dit l’auteur des Essais (Liv. III, ch. xi), quand on me les plante pour infaillibles : I’aime ces mots qui amollissent et modèrent la témérité de nos propositions ; à l’adventure, aulcunement, quelque, on dict, ie pense, et semblables : et si i’eusse eu à dresser des enfants, ie leur eusse tant mis en la bouche cette façon de respondre enquestante, non résolutive : qu’est-ce à dire ? Ie ne l’entends pas, Il pourrait estre, est-il vray ? qu’ils