Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/303

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innocent et léger. Loin de nous l’esprit persécuteur ; il est autant ennemi des grâces que de la raison ; mais à ne prendre ces insectes que pour des machines, celui qui sait les fabriquer avec tant d’art… — Je vois où vous en voulez venir, interrompit Athéos ; c’est votre prince ? Belle occupation pour ce grand monarque, d’avoir exercé son savoir-faire sur les pieds d’une chenille et sur l’aile d’une mouche.

46. — Trêve de mépris, répliqua Philoxène : ce qui ravit l’admiration de l’homme peut bien avoir mérité l’attention du créateur. Dans l’univers rien n’est fait ni placé sans dessein… — Oh ! toujours du dessein ! reprit Athéos, on n’y peut plus tenir. — Ces messieurs sont les confidents du grand ouvrier, mais c’est, ajouta Damis, comme les érudits le sont des auteurs qu’ils commentent, pour leur faire dire ce à quoi ils n’ont jamais pensé.

47. — Pas tout à fait, continua Philoxène : depuis qu’à l’aide du microscope on a découvert dans le ver à soie un cerveau, un cœur, des intestins, des poumons ; qu’on connaît le mécanisme et l’usage de ces parties ; qu’on a étudié les mouvements et les filtrations des liqueurs qui y circulent, et qu’on a examiné le travail de ces insectes, en parle-t-on au hasard à votre avis ? Mais laissant là l’industrie des abeilles, je pense que la structure seule de leur trompe et de leur aiguillon présente à tout esprit sensé des merveilles qu’il ne tiendra jamais pour des productions de je ne sais quel mouvement fortuit de la matière. — Ces messieurs, interrompit Oribaze, n’ont jamais lu Virgile, un de nos patriarches, qui prétend que les abeilles ont reçu en partage un rayon de la Divinité, et qu’elles font partie du Grand-Esprit. — Votre poëte et vous, n’avez pas considéré, lui répliquai-je, que vous divinisez non-seulement les mouches, mais toutes les gouttes d’eau et tous les grains de sable de la mer : prétentions absurdes. Revenons à celles de Philoxène. Si ses observations judicieuses sur quelques insectes concluent pour l’existence de notre prince, quel avantage ne tirerait-il pas de l’anatomie du corps humain et de la connaissance des autres phénomènes de la nature ! — Rien autre chose, répondit constamment Athéos, sinon que la matière est organisée. « Nos autres compagnons, témoins de son embarras, lui disaient pour le consoler, « que peut-être il avait raison, mais que la vraisemblance était de mon côté. »