Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/371

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ont leurs sommets au centre du cube, et pour base chacune de ses faces. On s’en sert pour démontrer d’une manière très simple que toute pyramide est le tiers d’un prisme de même base et de même hauteur.

Il fut entraîné par son goût à l’étude des mathématiques, et déterminé, par la médiocrité de sa fortune et les conseils de ses amis, à en faire des leçons publiques. Ils ne doutèrent point qu’il ne réussît au delà de ses espérances, par la facilité prodigieuse qu’il avait à se faire entendre. En effet, Saunderson parlait à ses élèves comme s’ils eussent été privés de la vue : mais un aveugle qui s’exprime clairement pour des aveugles doit gagner beaucoup avec des gens qui voient ; ils ont un télescope de plus.

Ceux qui ont écrit sa vie disent qu’il était fécond en expressions heureuses ; et cela est fort vraisemblable. Mais qu’entendez-vous par des expressions heureuses ? me demanderez-vous peut-être. Je vous répondrai, madame, que ce sont celles qui sont propres à un sens, au toucher, par exemple, et qui sont métaphoriques en même temps à un autre sens, comme aux yeux ; d’où il résulte une double lumière pour celui à qui l’on parle, la lumière vraie et directe de l’expression, et la lumière réfléchie de la métaphore. Il est évident que dans ces occasions Saunderson, avec tout l’esprit qu’il avait, ne s’entendait qu’à moitié, puisqu’il n’apercevait que la moitié des idées attachées aux termes qu’il employait. Mais qui est-ce qui n’est pas de temps en temps dans le même cas ? Cet accident est commun aux idiots, qui font quelquefois d’excellentes plaisanteries et aux personnes qui ont le plus d’esprit, à qui il échappe une sottise, sans que ni les uns ni les autres s’en aperçoivent.

J’ai remarqué que la disette de mots produisait aussi le même effet sur les étrangers à qui la langue n’est pas encore familière : ils sont forcés de tout dire avec une très petite quantité de termes, ce qui les contraint d’en placer quelques-uns très heureusement. Mais toute langue en général étant pauvre de mots propres pour les écrivains qui ont l’imagination vive, ils sont dans le même cas que des étrangers qui ont beaucoup d’esprit : les situations qu’ils inventent, les nuances délicates qu’ils aperçoivent dans les caractères, la naïveté des peintures qu’ils ont à faire, les écartent à tout moment des