Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/384

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jour ; l’éclat d’une lumière vive nous empêche de voir ; que ne produira-t-il point sur un organe qui doit être de la dernière sensibilité, n’ayant encore éprouvé aucune impression qui l’ait émoussé !

Mais ce n’est pas tout : ce serait encore un point fort délicat, que de tirer parti d’un sujet ainsi préparé ; et que de l’interroger avec assez de finesse pour qu’il ne dît précisément que ce qui se passe en lui. Il faudrait que cet interrogatoire se fît en pleine académie ; ou plutôt, afin de n’avoir point de spectateurs superflus, n’inviter à cette assemblée que ceux qui le mériteraient par leurs connaissances philosophiques, anatomiques, etc… Les plus habiles gens et les meilleurs esprits ne seraient pas trop bons pour cela. Préparer et interroger un aveugle-né n’eût point été une occupation indigne des talents réunis de Newton, Descartes, Locke et Leibniz.

Je finirai cette lettre, qui n’est déjà que trop longue, par une question qu’on a proposée il y a longtemps. Quelques réflexions sur l’état singulier de Saunderson m’ont fait voir qu’elle n’avait jamais été entièrement résolue. On suppose un aveugle de naissance qui soit devenu homme fait, et à qui on ait appris à distinguer, par l’attouchement, un cube et un globe de même métal et à peu près de même grandeur, en sorte que quand il touche l’un et l’autre, il puisse dire quel est le cube et quel est le globe.

Ce fut M. Molineux qui proposa le premier cette question, et qui tenta de la résoudre. Il prononça que l’aveugle ne distinguerait point le globe du cube ; « car, dit-il, quoiqu’il ait appris par expérience de quelle manière le globe et le cube affectent son attouchement, il ne sait pourtant pas encore que ce qui affecte son attouchement de telle ou telle manière, doit frapper ses yeux de telle ou telle façon ; ni que l’angle avancé du cube qui presse sa main d’une manière inégale doive paraître à ses yeux tel qu’il paraît dans le cube. »

Locke, consulté sur cette question, dit : « Je suis tout à fait du sentiment de M. Molineux. Je crois que l’aveugle ne